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AVIGNON.

florins d’or. Le pape la déclara innocente du meurtre de son mari, mais il ne la paya point. On n’a jamais produit la quittance de Jeanne. Elle réclama quatre fois juridiquement contre cette vente illusoire.

Ainsi donc Avignon et le comtat ne furent jamais réputés démembrés de la Provence que par une rapine d’autant plus manifeste qu’on avait voulu la couvrir du voile de la religion.

Lorsque Louis XI acquit la Provence, il l’acquit avec tous ses droits, et voulut les faire valoir en 1464, comme on le voit par une lettre de Jean de Foix à ce monarque. Mais les intrigues de la cour de Rome eurent toujours tant de pouvoir que les rois de France condescendirent à la laisser jouir de cette petite province. Ils ne reconnurent jamais dans les papes une possession légitime, mais une simple jouissance.

Dans le traité de Pise, fait par Louis XIV, en 1664, avec Alexandre VII, il est dit « qu’on lèvera tous les obstacles, afin que le pape puisse jouir d’Avignon comme auparavant ». Le pape n’eut donc cette province que comme des cardinaux ont des pensions du roi, et ces pensions sont amovibles.

Avignon et le comtat furent toujours un embarras pour le gouvernement de France. Ce petit pays était le refuge de tous les banqueroutiers et de tous les contrebandiers. Par là, il causait de grandes pertes, et le pape n’en profitait guère.

Louis XIV rentra deux fois dans ses droits, mais pour châtier le pape plus que pour réunir Avignon et le comtat à sa couronne.

Enfin Louis XV a fait justice à sa dignité et à ses sujets. La conduite indécente et grossière du pape Rezzonico, Clément XIII, l’a forcé de faire revivre les droits de sa couronne en 1768. Ce pape avait agi comme s’il avait été du xive siècle : on lui a prouvé qu’on était au xviiie, avec l’applaudissement de l’Europe entière.

Lorsque l’officier général chargé des ordres du roi entra dans Avignon, il alla droit à l’appartement du légat sans se faire annoncer, et lui dit : « Monsieur, le roi prend possession de sa ville. »

Il y a loin de là à un comte de Toulouse fouetté par un diacre pendant le dîner d’un légat. Les choses, comme on voit, changent avec le temps[1].


  1. Clément XIII étant mort, son successeur Ganganelli répara ses fautes, promit de détruire les jésuites, et on lui rendit Avignon.

    De profonds politiques croient qu’il est bon de laisser Avignon au pape, pour se conserver un moyen de le punir s’il abuse de ses clefs ; mais qu’on laisse le peuple s’éclairer, et l’on n’aura plus besoin d’Avignon ni pour faire entendre raison au successeur de saint Pierre, ni pour n’en avoir rien à craindre. (K.)