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AUTEURS.

mand, les nouvelles découvertes sur les anguilles, un nouveau choix de vers, un système sur l’origine des cloches, les amours du crapaud. Un libraire achète leurs productions dix écus ; ils en donnent cinq au folliculaire du coin, à condition qu’il en dira du bien dans ses gazettes. Le folliculaire prend leur argent, et dit de leurs opuscules tout le mal qu’il peut. Les lésés viennent se plaindre au juif qui entretient la femme du folliculaire : on se bat à coups de poing chez l’apothicaire Lelièvre ; la scène finit par mener le folliculaire au Fort-l’Évêque ; et cela s’appelle des auteurs !

Ces pauvres gens se partagent en deux ou trois bandes, et vont à la quête comme des moines mendiant ; mais n’ayant point fait de vœux, leur société ne dure que peu de jours ; ils se trahissent comme des prêtres qui courent le même bénéfice, quoiqu’ils n’aient nul bénéfice à espérer ; et cela s’appelle des auteurs !

Le malheur de ces gens-là vient de ce que leurs pères ne leur ont pas fait apprendre une profession : c’est un grand défaut dans la police moderne. Tout homme du peuple qui peut élever son fils dans un art utile, et ne le fait pas, mérite punition. Le fils d’un metteur en œuvre se fait jésuite à dix-sept ans. Il est chassé de la société à vingt-quatre, parce que le désordre de ses mœurs a trop éclaté. Le voilà sans pain : il devient folliculaire ; il infecte la basse littérature, et devient le mépris et l’horreur de la canaille même ; et cela s’appelle des auteurs !

Les auteurs véritables sont ceux qui ont réussi dans un art véritable, soit dans l’épopée, soit dans la tragédie, soit dans la comédie, soit dans l’histoire, ou dans la philosophie ; qui ont enseigné ou enchanté les hommes. Les autres dont nous avons parlé sont parmi les gens de lettres ce que les frelons sont parmi les oiseaux.

On cite, on commente, on critique, on néglige, on oublie ; mais surtout on méprise communément un auteur qui n’est qu’auteur.

A propos de citer un auteur, il faut que je m’amuse à raconter une singulière bévue du révérend P. Viret, cordelier, professeur en théologie. Il lit dans la Philosophie de l’histoire[1] de ce bon abbé Bazin, que « jamais aucun auteur n’a cité un passage de Moïse avant Longin, qui vécut et mourut du temps de l’empereur Aurélien ». Aussitôt le zèle de saint François s’allume : Viret[2] crie que

  1. Voyez tome XI, page 81.
  2. Le révérend P. Viret est auteur d’une Réponse à la Philosophie de l’histoire, 1767, in-12. Il a écrit un autre ouvrage contre Voltaire ; voyez dans les Mélanges, année 1767, ma note sur le Dîner du comte de Boulainvilliers. (B.)