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AUTEURS.

qu’il ne se trouve quelque éplucheur de chronologie, quelque commentateur de gazette qui vous relèvera sur une date, sur un nom de baptême, sur un escadron mal placé par vous à trois cents pas de l’endroit où il fut en effet posté. Alors corrigez-vous vite.

Si un ignorant, un folliculaire se mêle de critiquer à tort et à travers, vous pouvez le confondre ; mais nommez-le rarement, de peur de souiller vos écrits.

Vous attaque-t-on sur le style, ne répondez jamais ; c’est à votre ouvrage seul de répondre.

Un homme dit que vous êtes malade, contentez-vous de vous bien porter, sans vouloir prouver au public que vous êtes en parfaite santé ; et surtout souvenez-vous que le public s’embarrasse fort peu si vous vous portez bien ou mal.

Cent auteurs compilent pour avoir du pain, et vingt folliculaires font l’extrait, la critique, l’apologie, la satire de ces compilations, dans l’idée d’avoir aussi du pain, parce qu’ils n’ont point de métier. Tous ces gens-là vont le vendredi demander au lieutenant de police de Paris la permission de vendre leurs drogues. Ils ont audience immédiatement après les filles de joie, qui ne les regardent pas parce qu’elles savent bien que ce sont de mauvaises pratiques[1].

Ils s’en retournent avec une permission tacite de faire vendre et débiter par tout le royaume leurs historiettes, leurs recueils de bons mots, la vie du bienheureux Régis, la traduction d’un poème alle-

  1. En France, il existe ce qu’on appelle l’inspection de la librairie : le chancelier en est chargé en chef ; c’est lui seul qui décide si les Français doivent lire ou croire telle proposition. Les parlements ont aussi une juridiction sur les livres : ils font brûler par leurs bourreaux ceux qui leur déplaisent ; mais la mode de brûler les auteurs avec les livres commence à passer. Les cours souveraines brûlent aussi en cérémonie les livres qui ne parlent point d’elles avec assez de respect. Le clergé, de son côté, tâche, autant qu’il peut, de s’établir une petite juridiction sur les pensées. Comment la vérité s’échappera-t-elle des mains des censeurs, des exempts de police, des bourreaux, et des docteurs ? Elle ira chercher une terre étrangère ; et comme il est impossible que cette tyrannie exercée sur les esprits ne donne un peu d’humeur, elle parlera avec moins de circonspection et plus de violence.

    Dans le temps où M. de Voltaire a écrit, c’était le lieutenant de police de Paris qui avait, sous le chancelier, l’inspection des livres ; depuis, on lui a ôté une partie de ce département. Il n’a conservé que l’inspection des pièces de théâtre, et des ouvrages au-dessous d’une feuille d’impression. Le détail de cette partie est immense. Il n’est point permis à Paris d’imprimer qu’on a perdu son chien sans que la police se soit assurée qu’il n’y a, dans le signalement de cette pauvre bête, aucune proposition contraire aux bonnes mœurs et à la religion. (K.) — Ce régime est bien changé. (B.)