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ATHÉE.

Dieu ; mais c’est que les hommes ne raisonnent et ne se conduisent presque jamais selon leurs principes.

Si les hommes raisonnaient conséquemment, Épicure et son apôtre Lucrèce auraient dû être les plus religieux défenseurs de la Providence, qu’ils combattaient : car en admettant le vide et la matière finie, vérité qu’ils ne faisaient qu’entrevoir, il s’ensuivait nécessairement que la matière n’était pas l’être nécessaire, existant par lui-même, puisqu’elle n’était pas indéfinie. Ils avaient donc dans leur propre philosophie, malgré eux-mêmes, une démonstration qu’il y a un autre Être suprême, nécessaire, infini, et qui a fabriqué l’univers. La philosophie de Newton, qui admet et qui prouve la matière finie et le vide, prouve aussi démonstrativement un Dieu.

Aussi je regarde les vrais philosophes comme les apôtres de la Divinité ; il en faut pour chaque espèce d’homme : un catéchiste de paroisse dit à des enfants qu’il y a un Dieu ; mais Newton le prouve à des sages.

À Londres, après les guerres de Cromwell sous Charles II, comme à Paris, après les guerres des Guises sous Henri IV, on se piquait beaucoup d’athéisme : les hommes ayant passé de l’excès de la cruauté à celui des plaisirs, et ayant corrompu leur esprit successivement dans la guerre et dans la mollesse, ne raisonnaient que très-médiocrement ; plus on a depuis étudié la nature, plus on a connu son auteur.

J’ose croire une chose, c’est que de toutes les religions le théisme est la plus répandue dans l’univers : elle est la religion dominante à la Chine ; c’est la secte des sages chez les mahométans, et de dix philosophes chrétiens il y en a huit de cette opinion ; elle a pénétré jusque dans les écoles de théologie, dans les cloîtres, et dans le conclave : c’est une espèce de secte, sans association, sans culte, sans cérémonies, sans dispute et sans zèle, répandue dans l’univers sans avoir été prêchée. Le théisme se rencontre au milieu de toutes les religions comme le judaïsme : ce qu’il y a de singulier, c’est que l’un étant le comble de la superstition, abhorré des peuples et méprisé des sages, est toléré partout à prix d’argent ; et l’autre étant l’opposé de la superstition, inconnu au peuple, et embrassé par les seuls philosophes, n’a d’exercice public qu’à la Chine. Il n’y a point de pays dans l’Europe où il y ait plus de théistes qu’en Angleterre. Plusieurs personnes demandent s’ils ont une religion ou non.

Il y a deux sortes de théistes :

Ceux qui pensent que Dieu a fait le monde sans donner à