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ART DRAMATIQUE.

mauvais autour de quelques opéras et de quelques comédies[1], on lit ces étranges paroles : « En général, la musique vocale de Lulli n’est autre, on le répète, que le pur récitatif, et n’a par elle-même aucune expression du sentiment que les paroles de Quinault ont peint. Ce fait est si certain que, sur le même chant qu’on a si longtemps cru plein de la plus forte expression, on n’a qu’à mettre des paroles qui forment un sens tout à fait contraire, et ce chant pourra être appliqué à ces nouvelles paroles aussi bien, pour le moins, qu’aux anciennes. Sans parler ici du premier chœur du prologue d’Amadis, où Lulli a exprimé éveillons-nous comme il aurait fallu exprimer endormons-nous, on va prendre pour exemple et pour preuve un de ses morceaux de la plus grande réputation.

« Qu’on lise d’abord les vers admirables que Quinault met dans la bouche de la cruelle, de la barbare Méduse (Persée, acte III, scène i) :

Je porte l’épouvante et la mort en tous lieux ;
Tout se change en rocher à mon aspect horrible ;
Les traits que Jupiter lance du haut des cieux

N’ont rien de si terrible
Qu’un regard de mes yeux.

« Il n’est personne qui ne sente qu’un chant qui serait l’expression véritable de ces paroles ne saurait servir pour d’autres qui présenteraient un sens absolument contraire ; or le chant que Lulli met dans la bouche de l’horrible Méduse, dans ce morceau et dans tout cet acte, est si agréable, par conséquent si peu convenable au sujet, si fort en contre-sens, qu’il irait très-bien pour exprimer le portrait que l’Amour triomphant ferait de lui-même. On ne représente ici, pour abréger, que la parodie de ces cinq vers, avec leur chant. On peut être sûr que la parodie, très-aisée à faire, du reste de la scène, offrirait partout une démonstration aussi frappante. »

  1. Cahusac