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ART DRAMATIQUE.

Ce fut en 1647 qu’il fit venir pour la première fois une troupe entière de musiciens italiens, des décorateurs et un orchestre : on représenta au Louvre la tragi-comédie d’Orphée en vers italiens et en musique ; ce spectacle ennuya tout Paris. Très-peu de gens entendaient l’italien, presque personne ne savait la musique, et tout le monde haïssait le cardinal : cette fête, qui coûta beaucoup d’argent, fut sifflée, et bientôt après les plaisants de ce temps-là « firent le grand ballet, et le branle de la fuite de Mazarin, dansé sur le théâtre de la France par lui-même et ses adhérents ». Voilà toute la récompense qu’il eut d’avoir voulu plaire à la nation.

Avant lui on avait eu des ballets en France dès le commencement du XVIe siècle ; et dans ces ballets il y avait toujours eu quelque musique d’une ou deux voix, quelquefois accompagnées de chœurs qui n’étaient guère autre chose qu’un plain-chant grégorien. Les filles d’Achéloüs, les sirènes, avaient chanté en 1582 aux noces du duc de Joyeuse ; mais c’étaient d’étranges sirènes.

Le cardinal Mazarin ne se rebuta pas du mauvais succès de son opéra italien ; et lorsqu’il fut tout-puissant, il fit revenir ses musiciens italiens qui chantèrent le Nozze di Peleo e di Tetide en trois actes, en 1654. Louis XIV y dansa : la nation fut charmée de voir son roi, jeune, d’une taille majestueuse et d’une figure aussi aimable que noble, danser dans sa capitale après en avoir été chassé ; mais l’opéra du cardinal n’ennuya pas moins Paris pour la seconde fois.

Mazarin persista ; il fit venir en 1660 le signor Cavalli, qui donna dans la grande galerie du Louvre l’opéra de Xercès en cinq actes : les Français bâillèrent plus que jamais, et se crurent délivrés de l’opéra italien par la mort de Mazarin, qui donna lieu en 1661 à mille épitaphes ridicules, et à presque autant de chansons qu’on en avait fait contre lui pendant sa vie.

Cependant les Français voulaient aussi dès ce temps-là même avoir un opéra dans leur langue, quoiqu’il n’y eût pas un seul homme dans le pays qui sût faire un trio, ou jouer passablement du violon ; et dès l’année 1659, un abbé Perrin, qui croyait faire des vers, et un Cambort, intendant de douze violons de la reine mère, qu’on appelait la musique de France, firent chanter dans le village d’Issy une pastorale qui, en fait d’ennui, l’emportait sur les Hercole amante, et sur les Nozze di Peleo.

En 1669, le même abbé Perrin et le même Cambert s’associèrent avec un marquis de Sourdeac, grand machiniste qui n’était pas absolument fou, mais dont la raison était très-particulière, et qui se ruina dans cette entreprise. Les commencements