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ARMES, ARMÉES.

avaient subjugué presque tout l’hémisphère, et pourraient revenir encore, comme des loups affamés, dévorer les terres qui l’avaient été autrefois par leurs ancêtres.

Dans toutes les armées c’était la force du corps, l’agilité, une espèce de fureur sanguinaire, un acharnement d’homme à homme, qui décidaient de la victoire, et par conséquent du destin des États. Des hommes intrépides prenaient des villes avec des échelles. Il n’y avait guère plus de discipline dans les armées du Nord, au temps de la décadence de l’empire romain, que dans les hôtes carnassières qui fondent sur leur proie.

Aujourd’hui une seule place frontière, munie de canon, arrêterait les armées des Attila et des Gengis.

On a vu, il n’y a pas longtemps, une armée de Russes victorieux se consumer inutilement devant Custrin, qui n’est qu’une petite forteresse dans un marais.

Dans les batailles, les hommes les plus faibles de corps peuvent l’emporter sur les plus robustes, avec une artillerie bien dirigée. Quelques canons suffirent à la bataille de Fontenoy pour faire retourner en arrière toute la colonne anglaise déjà maîtresse du champ de bataille.

Les combattants ne s’approchent plus : le soldat n’a plus cette ardeur, cet emportement qui redouble dans la chaleur de l’action lorsque l’on combat corps à corps. La force, l’adresse, la trempe des armes même, sont inutiles. À peine une seule fois dans une guerre se sert-on de la baïonnette au bout du fusil, quoiqu’elle soit la plus terrible des armes.

Dans une plaine souvent entourée de redoutes munies de gros canons, deux armées s’avancent en silence ; chaque bataillon mène avec soi des canons de campagne ; les premières lignes tirent l’une contre l’autre, et l’une après l’autre. Ce sont des victimes qu’on présente tour à tour aux coups de feu. On voit souvent sur les ailes des escadrons exposés continuellement aux coups de canon en attendant l’ordre du général. Les premiers qui se lassent de cette manœuvre, laquelle ne laisse aucun lieu à l’impétuosité du courage, se débandent, et quittent le champ de bataille. On va les rallier, si l’on peut, à quelques milles de là. Les ennemis victorieux assiègent une ville qui leur coûte quelquefois plus de temps, plus d’hommes, plus d’argent, que plusieurs batailles ne leur auraient coûté. Les progrès sont très-rarement rapides ; et au bout de cinq ou six ans, les deux parties, également épuisées, sont obligées de faire la paix.

Ainsi, à tout prendre, l’invention de l’artillerie et la méthode