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ARIANISME.

« On sophistiquait, on ergotait, on haïssait, on s’excommuniait chez les chrétiens pour quelques-uns de ces dogmes inaccessibles à l’esprit humain, avant les temps d’Arius et d’Athanase. Les Grecs égyptiens étaient d’habiles gens : ils coupaient un cheveu en quatre ; mais cette fois-ci ils ne le coupèrent qu’en trois. Alexandros, évêque d’Alexandrie, s’avise de prêcher que Dieu étant nécessairement individuel, simple, une monade dans toute la rigueur du mot, cette monade est trine.

« Le prêtre Arious, que nous nommons Arius, est tout scandalisé de la monade d’Alexandros ; il explique la chose différemment ; il ergote en partie comme le prêtre Sabellious, qui avait ergoté comme le Phrygien Praxeas, grand ergoteur. Alexandros assemble vite un petit concile de gens de son opinion, et excommunie son prêtre. Eusébios, évêque de Nicomédie, prend le partie d’Arious : voilà toute l’Église en feu.

« L’empereur Constantin était un scélérat, je l’avoue, un parricide qui avait étouffé sa femme dans un bain, égorgé son fils, assassiné son beau-père, son beau-frère et son neveu, je ne le nie pas ; un homme bouffi d’orgueil, et plongé dans les plaisirs, je l’accorde ; un détestable tyran, ainsi que ses enfants, transeat ; mais il avait du bon sens. On ne parvient point à l’empire, on ne subjugue pas tous ses rivaux sans avoir raisonné juste.

« Quand il vit la guerre civile des cervelles scolastiques allumée, il envoya le célèbre évêque Ozius avec des lettres déhortatoires aux deux parties belligérantes[1]. « Vous êtes de grands fous, leur dit-il expressément dans sa lettre, de vous quereller pour des choses que vous n’entendez pas. Il est indigne de la gravité de vos ministères de faire tant de bruit sur un sujet si mince. »

« Constantin n’entendait pas par mince sujet ce qui regarde la Divinité, mais la manière incompréhensible dont on s’efforçait d’expliquer la nature de la Divinité. Le patriarche arabe qui a

  1. Un professeur de l’université de Paris, nommé Lebeau, qui a écrit l’Histoire du Bas-Empire, se garde bien de rapporter la lettre de Constantin telle qu’elle est, et telle que la rapporte le savant auteur du Dictionnaire des hérésies. « Ce bon prince, dit-il, animé d’une tendresse paternelle, finissait en ces termes : « Rendez-moi des jours sereins et des nuits tranquilles. » Il rapporte les compliments de Constantin aux évêques, mais il devait aussi rapporter le reproche. L’épithète de bon prince convient à Titus, à Trajan, à Marc-Antonin, à Marc-Aurèle, et même à Julien le philosophe, qui ne versa jamais que le sang des ennemis de l’empire en prodiguant le sien, et non pas à Constantin, le plus ambitieux des hommes, le plus vain, le plus voluptueux, et en même temps le plus perfide et le plus sanguinaire. Ce n’est pas écrire l’histoire, c’est la défigurer. (Note de Voltaire.)