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ANTIQUITÉ.

Mais comment savoir si Jéhud en Phénicie fut l’inventeur des sacrifices de sang humain, eu immolant son fils ?

Comment s’assurer que Lycaon mangea le premier de la chair humaine, quand on ne sait pas qui s’avisa le premier de manger des poules ?

On recherche l’origine des anciennes fêtes. La plus antique et la plus belle est celle des empereurs de la Chine, qui labourent et qui sèment avec les premiers mandarins[1]. La seconde est celle des thesmophories d’Athènes. Célébrer à la fois l’agriculture et la justice, montrer aux hommes combien l’une et l’autre sont nécessaires, joindre le frein des lois à l’art qui est la source de toutes les richesses, rien n’est plus sage, plus pieux et plus utile.

Il y a de vieilles fêtes allégoriques qu’on retrouve partout, comme le renouvellement des saisons. Il n’est pas nécessaire qu’une nation soit venue de loin enseigner à une autre qu’on peut donner des marques de joie et d’amitié à ses voisins le jour de l’an. Cette coutume était celle de tous les peuples. Les saturnales des Romains sont plus connues que celles des Allobroges et des Pietés, parce qu’il nous est resté beaucoup d’écrits et de monuments romains, et que nous n’en avons aucun des autres peuples de l’Europe occidentale.

La fête de Saturne était celle du temps ; il avait quatre ailes : le temps va vite. Ses deux visages figuraient évidemment l’année finie et l’année commencée. Les Grecs disaient qu’il avait dévoré son père, et qu’il dévorait ses enfants ; il n’y a point d’allégorie plus sensible ; le temps dévore le passé et le présent, et dévorera l’avenir.

Pourquoi chercher de vaines et tristes explications d’une fête si universelle, si gaie et si connue ? À bien examiner l’antiquité, je ne vois pas une fête annelle triste : ou du moins si elles commencent par des lamentations, elles finissent par danser, rire et boire. Si on pleure Adoni ou Adonaï, que nous nommons Adonis, il ressuscite bientôt, et on se réjouit. Il en est de même aux fêtes d’Isis, d’Osiris et d’Horus. Les Grecs en font autant pour Cérès et pour Proserpine. On célébrait avec gaieté la mort du serpent Python. Jour de fête et jour de joie était la même chose. Cette joie n’était que trop emportée aux fêtes de Bacchus.

Je ne vois pas une seule commémoration générale d’un événement malheureux. Les instituteurs des fêtes n’auraient pas eu le sens commun s’ils avaient établi dans Athènes la célébration de

  1. Voyez l’article Agriculture. (Note de Voltaire.)