Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
ANA, ANECDOTES.

« C’est une chose assez plaisante qu’à Londres, à Pétersbourg, à Vienne, à Gênes, à Parme, et jusqu’en Suisse, on se soit également moqué de ce Fréron. Ce n’est pas à sa personne qu’on en voulait ; il prétend que l’Écossaise ne réussit à Paris que parce qu’il y est détesté. Mais la pièce a réussi à Londres, à Vienne, où il est inconnu. Personne n’en voulait à Pourceaugnac, quand Pourceaugnac fit rire l’Europe.

« Ce sont là des anecdotes littéraires assez bien constatées ; mais ce sont, sur ma parole, les vérités les plus inutiles qu’on ait jamais dites. Mon ami, un chapitre de Cicéron, de Officiis et de Natura deorum, un chapitre de Locke, une Lettre provinciale, une bonne fable de La Fontaine, des vers de Boileau et de Racine, voilà ce qui doit occuper un vrai littérateur.

« Je voudrais bien savoir quelle utilité le public retirera de l’examen que fait le folliculaire si je demeure dans un château ou dans une maison de campagne. J’ai lu dans une des quatre cents brochures faites contre moi par mes confrères de la plume que Mme la duchesse de Richelieu m’avait fait présent un jour d’un carrosse fort joli et de deux chevaux gris-pommelés ; que cela déplut fort à M. le duc de Richelieu. Et là-dessus on bâtit une longue histoire. Le bon de l’affaire, c’est que dans ce temps-là M. le duc de Richelieu n’avait point de femme.

« D’autres impriment mon Portefeuille retrouvé ; d’autres, mes Lettres à M. B... et à Mme D..., à qui je n’ai jamais écrit ; et dans ces lettres, toujours des anecdotes.

« Ne vient-on pas d’imprimer les Lettres prétendues de la reine Christine, de Ninon Lenclos, etc., etc.[1] ! Des curieux mettent ces sottises dans leurs bibliothèques, et un jour quelque érudit aux gages d’un libraire les fera valoir comme des monuments précieux de l’histoire. Quel fatras ! quelle pitié ! quel opprobre de la littérature ! quelle perte de temps[2] ! »

On ferait bien aisément un très gros volume sur ces anecdotes ; mais en général on peut assurer qu’elles ressemblent aux vieilles chartes des moines. Sur mille il y en a huit cents de

  1. François Lacombe est auteur des Lettres secrètes de Christine, 1762, in-12. Voltaire en reparle dans la VIIIe de ses Remarques pour servir de supplément à l’Essai sur les Mœurs (voyez Mélanges, année 1763). C’est l’avocat Damours qui a composé les Lettres de Ninon de Lenclos au marquis de Sévigné, 1750, in-12 ; 1752, 2 vol. petit in-12.
  2. Dans la première édition des Questions sur l’Encyclopédie, on lisait encore : « Je lis actuellement des articles de l’Encyclopédie qui doivent servir d’instruction au genre humain ; mais tout n’est pas égal, etc., etc. » Ces deux etc., etc., terminaient l’article.