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ANA, ANECDOTES.

nommé Jean Dacombe, qu’on appelait vulgairement dix pour cent, lui demandait en plaisantant quelle épitaphe il lui ferait s’il venait à mourir, Shakespeare lui répondit :


Ci-gît un financier puissant,
Que nous appelons dix pour cent ;
Je gagerais cent contre dix
Qu’il n’est pas dans le paradis.
Lorsque Belzébut arriva
Pour s’emparer de cette tombe,
On lui dit : « Qu’emportez-vous là ?
— Eh ! c’est notre ami Jean Dacombe. »


On vient de renouveler encore cette ancienne plaisanterie.


Je sais bien qu’un homme d’église,
Qu’on redoutait fort en ce lieu,
Vient de rendre son âme à Dieu ;
Mais je ne sais si Dieu l’a prise.


Il y a cent facéties, cent contes, qui font le tour du monde depuis trente siècles. On farcit les livres de maximes qu’on donne comme neuves, et qui se retrouvent dans Plutarque, dans Athénée, dans Sénèque, dans Plaute, dans toute l’antiquité.

Ce ne sont là que des méprises aussi innocentes que communes ; mais, pour les faussetés volontaires, pour les mensonges historiques qui portent des atteintes à la gloire des princes et à la réputation des particuliers, ce sont des délits sérieux.

De tous les livres grossis de fausses anecdotes, celui dans lequel les mensonges les plus absurdes sont entassés avec le plus d’impudence, c’est la compilation des prétendus Mémoires de madame de Maintenon. Le fond en était vrai, l’auteur avait eu quelques lettres de cette dame, qu’une personne élevée à Saint-Cyr lui avait communiquées. Ce peu de vérités a été noyé dans un roman de sept tomes.

C’est là que l’auteur peint Louis XIV supplanté par un de ses valets de chambre ; c’est là qu’il suppose des lettres de Mlle  de Mancini, depuis connétable Colonne, à Louis XIV. C’est là qu’il fait dire à cette nièce du cardinal Mazarin, dans une lettre au roi : « Vous obéissez à un prêtre, vous n’êtes pas digne de moi si vous aimez à servir. Je vous aime comme mes yeux, mais j’aime encore mieux votre gloire. » Certainement l’auteur n’avait pas l’original de cette lettre.