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AMPLIFICATION.

circonstances de la mort d’Hippolyte ? qui voudrait même qu’on en retranchât quatre vers ? Ce n’est pas là une vaine description d’une tempête inutile à la pièce, ce n’est pas là une amplification mal écrite : c’est la diction la plus pure et la plus touchante ; enfin c’est Racine.

On lui reproche le héros expiré. Quelle misérable vétille de grammaire ! Pourquoi ne pas dire ce héros expiré, comme on dit il est expiré, il a expiré ! Il faut remercier Racine d’avoir enrichi la langue à laquelle il a donné tant de charmes, en ne disant jamais que ce qu’il doit, lorsque les autres disent tout ce qu’ils peuvent.

Boileau fut le premier[1] qui fit remarquer l’amplification vicieuse de la première scène de Pompée.


Quand les dieux étonnés semblaient se partager
Pharsale a décidé ce qu’ils n’osaient juger.
Ces fleuves teints de sang, et rendus plus rapides
Par le débordement de tant de parricides ;
Cet horrible débris d’aigles, d’armes, de chars.
Sur ces champs empestés confusément épars ;
Ces montagnes de morts, privés d’honneurs suprêmes.
Que la nature force à se venger eux-mêmes,
Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au reste des vivants, etc.


Ces vers boursouflés sont sonores : ils surprirent longtemps la multitude qui, sortant à peine de la grossièreté, et qui plus est de l’insipidité où elle avait été plongée tant de siècles, était étonnée et ravie d’entendre des vers harmonieux ornés de grandes images. On n’en savait pas assez pour sentir l’extrême ridicule d’un roi d’Égypte qui parle comme un écolier de rhétorique, d’une bataille livrée au delà de la mer Méditerranée, dans une province qu’il ne connaît pas, entre des étrangers qu’il doit également haïr. Que veulent dire des dieux qui n’ont osé juger entre le gendre et le beau-père, et qui cependant ont jugé par l’événement, seule manière dont ils étaient censés juger ? Ptolémée parle de fleuves près d’un champ de bataille où il n’y avait point de fleuves. Il peint ces prétendus fleuves rendus rapides par des débordements de parricides, un horrible débris de perches qui portaient des figures d’aigles, des charrettes cassées (car on ne connaissait point alors les chars de guerre),

  1. Préface de la traduction du Traité du sublime, à la fin.