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AMPLIFICATION.

Quand j’ai fait ces critiques, j’ai tâché de rendre raison de chaque mot que je critiquais. Les satiriques se contentent d’une plaisanterie, d’un bon mot, d’un trait piquant ; mais celui qui veut s’instruire et éclairer les autres est obligé de tout discuter avec le plus grand scrupule.

Plusieurs hommes de goût, et entre autres l’auteur du Tèlèmaque, ont regardé comme une amplification le récit de la mort d’Hippolyte dans Racine. Les longs récits étaient à la mode alors. La vanité d’un acteur veut se faire écouter. On avait pour eux cette complaisance ; elle a été fort blâmée. L’archevêque de Cambrai prétend que Théramène ne devait pas, après la catastrophe d’Hippolyte, avoir la force de parler si longtemps ; qu’il se plait trop à décrire les cornes menaçantes du monstre, et ses écailles jaunissantes, et sa croupe qui se recourbe ; qu’il devait dire d’une voix entrecoupée : « Hippolyte est mort : un monstre l’a fait périr ; je l’ai vu, »

Je ne prétends point défendre les écailles jaunissantes et la croupe qui se recourbe ; mais en général cette critique souvent répétée me paraît injuste. On veut que Théramène dise seulement: « Hippolyte est mort : je l’ai vu, c’en est fait. »

C’est précisément ce qu’il dit, et en moins de mots encore... « Hippolyte n’est plus. » Le père s’écrie ; Théramène ne reprend ses sens que pour dire :


.... J’ai vu des mortels périr le plus aimable ;


et il ajoute ce vers si nécessaire, si touchant, si désespérant pour Thésée :


Et j’ose dire encor, seigneur, le moins coupable.


La gradation est pleinement observée, les nuances se font sentir l’une après l’autre.

Le père attendri demande « quel Dieu lui a ravi son fils, quelle foudre soudaine ?... » Et il n’a pas le courage d’achever ; il reste muet dans sa douleur ; il attend ce récit fatal ; le public l’attend de même. Théramène doit répondre ; on lui demande des détails, il doit en donner.

Était-ce à celui qui fait discourir Mentor et tous ses personnages si longtemps, et quelquefois jusqu’à la satiété, de fermer la bouche à Théramène ? Quel est le spectateur qui voudrait ne le pas entendre, ne pas jouir du plaisir douloureux d’écouter les