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ALMANACH.

que nous n’avons pas le sens commun ; mais que si sa paternité veut envoyer chez nous des personnes éclairées et discrètes, on pourra faire quelque chose de nous moyennant la grâce de Dieu.

C’est ainsi précisément que nos premiers missionnaires, et surtout saint François Xavier, en usèrent avec les peuples de la presqu’île de l’Inde. Ils se trompèrent encore plus lourdement sur les usages des Indiens, sur leurs sciences, leurs opinions, leurs mœurs et leur culte. C’est une chose très curieuse de lire les relations qu’ils écrivirent. Toute statue est pour eux le diable, toute assemblée est un sabbat, toute figure symbolique est un talisman, tout brachmane est un sorcier ; et là-dessus ils font des lamentations qui ne finissent point. Ils espèrent que la « moisson sera abondante ». Ils ajoutent, par une métaphore peu congrue, « qu’ils travailleront efficacement à la vigne du Seigneur », dans un pays où l’on n’a jamais connu le vin. C’est ainsi à peu près que chaque nation a jugé non seulement des peuples éloignés, mais de ses voisins.

Les Chinois passent pour les plus anciens faiseurs d’almanachs. Le plus beau droit de l’empereur de la Chine est d’envoyer son calendrier à ses vassaux et à ses voisins. S’ils ne l’acceptaient pas, ce serait une bravade pour laquelle on ne manquerait pas de leur faire la guerre, comme on la faisait en Europe aux seigneurs qui refusaient l’hommage.

Si nous n’avons que douze constellations, les Chinois en ont vingt-huit, et leurs noms n’ont pas le moindre rapport aux nôtres : preuve évidente qu’ils n’ont rien pris du zodiaque chaldéen que nous avons adopté ; mais s’ils ont une astronomie tout entière depuis plus de quatre mille ans, ils ressemblent à Matthieu Laensberg et à Antoine Souci, par les belles prédictions et par les secrets pour la santé dont ils farcissent leur Almanach impérial. Ils divisent le jour en dix mille minutes, et savent à point nommé quelle minute est favorable ou funeste. Lorsque l’empereur Kang-hi voulut charger les missionnaires jésuites de faire l’Almanach, ils s’en excusèrent d’abord, dit-on, sur les superstitions extravagantes dont il faut le remplir[1]. « Je crois beaucoup moins que vous aux superstitions, leur dit l’empereur ; faites-moi seulement un bon calendrier, et laissez mes savants y mettre toutes leurs fadaises. »

L’ingénieux auteur de la Pluralité des mondes (5e soirée) se moque des Chinois, qui voient, dit-il, des mille étoiles tomber à

  1. Voyez Duhalde et Parennin. (Note de Voltaire.)