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AGRICULTURE.

chal de Vauban est l’auteur de la Dîme royale. C’est une erreur dans laquelle sont tombés presque tous ceux qui ont écrit sur l’économie[1]. Nous sommes donc forcés de remettre ici sous les yeux ce que nous avons déjà dit ailleurs[2].

« Bois-Guillebert s’avisa d’abord d’imprimer la Dîme royale, sous le nom de Testament politique du maréchal de Vauban. Ce Bois-Guillebert, auteur du Détail de la France, en deux volumes, n’était pas sans mérite : il avait une grande connaissance des finances du royaume ; mais la passion de critiquer toutes les opérations du grand Colbert l’emporta trop loin ; on jugea que c’était un homme fort instruit qui s’égarait toujours, un faiseur de projets qui exagérait les maux du royaume, et qui proposait de mauvais remèdes. Le peu de succès de ce livre auprès du ministère lui fit prendre le parti de mettre sa Dîme royale à l’abri d’un nom respecté : il prit celui du maréchal de Vauban, et ne pouvait mieux choisir. Presque toute la France croit encore que le projet de la Dîme royale est de ce maréchal si zélé pour le bien public ; mais la tromperie est aisée à connaître.

« Les louanges que Bois-Guillebert se donne à lui-même dans la préface le trahissent ; il y loue trop son livre du Détail de la France ; il n’était pas vraisemblable que le maréchal eût donné tant d’éloges à un livre rempli de tant d’erreurs ; on voit dans cette préface un père qui loue son fils pour faire recevoir un de ses bâtards. »

Le nombre de ceux qui ont mis sous des noms respectés leurs idées de gouvernement, d’économie, de finance, de tactique, etc., n’est que trop considérable. L’abbé de Saint-Pierre, qui pouvait n’avoir pas besoin de cette supercherie, ne laissa pas d’attribuer la chimère de sa Paix perpétuelle au duc de Bourgogne.

L’auteur du Financier citoyen[3] cite toujours le prétendu Testament politique de Colbert, ouvrage de tout point impertinent, fabriqué par Catien de Courtilz. Quelques ignorants[4] citent encore les Testaments politiques du roi d’Espagne Philippe II, du cardinal de Richelieu, de Colbert, de Louvois, du duc de Lorraine, du cardinal Albéroni, du maréchal de Belle-Isle. On a fabriqué jusqu’à celui de Mandrin.

  1. C’est Voltaire, au contraire, qui est là dans l’erreur, aussi bien que lorsqu’il conteste à Richelieu le Testament politique qui porte le nom de ce cardinal-ministre.
  2. Lettre imprimée à la suite des Doutes nouveaux. Voyez Mélanges, année 1764 ; voyez aussi tome XIV, page 141.
  3. Il s’appelait Navau.
  4. Voyez Ana, Anecdotes. (Note de Voltaire.)