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DES CONQUÊTES EN PERSE.


Juifs, qui se mêlèrent d’écrire quand ils furent établis dans Alexandrie, imaginèrent une ville de Scythopolis, bâtie, disaient-ils, par les Scythes auprès de la Judée ; comme si les Scythes et les anciens Juifs avaient pu donner des noms grecs à des villes.

Cette ville de Shamachie était opulente. Les Arméniens voisins de cette partie de la Perse y faisaient un commerce immense, et Pierre venait d’y établir, à ses frais, une compagnie de marchands russes qui commençait à être florissante. Les Lesguis surprirent la ville, la saccagèrent, égorgèrent tous les Russes qui trafiquaient sous la protection de Sha-Hussein, et pillèrent leurs magasins, dont on fit monter la perte à près de quatre millions de roubles,

Pierre envoya demander satisfaction à l’empereur Hussein, qui disputait encore sa couronne, et au tyran Mahmoud, qui l’usurpait. Hussein ne put lui rendre justice, et Mahmoud ne le voulut pas. Pierre résolut de se faire justice lui-même, et de profiter des désordres de la Perse.

Myr Mahmoud poursuivait toujours en Perse le cours de ses conquêtes. Le sophi, apprenant que l’empereur de Russie se préparait à entrer dans la mer Caspienne pour venger le meurtre de ses sujets égorgés dans Shamachie, le pria secrètement, par la voie d’un Arménien, de venir en même temps au secours de la Perse.

Pierre méditait depuis longtemps le projet de dominer sur la mer Caspienne par une puissante marine, et de faire passer par ses États le commerce de la Perse et d’une partie de l’Inde. Il avait fait sonder les profondeurs de cette mer, examiner les côtes, et dresser des cartes exactes. Il partit donc pour la Perse le 15 mai 1722. Son épouse l’accompagna dans ce voyage comme dans les autres. On descendit le Volga jusqu’à la ville d’Astracan. De là il courut faire rétablir les canaux qui devaient joindre la mer Caspienne, la mer Baltique, et la mer Blanche : ouvrage qui a été achevé en partie sous le règne de son petit-fils.

Pendant qu’il dirigeait ces ouvrages, son infanterie, ses munitions, étaient déjà sur la mer Caspienne. Il avait vingt-deux mille hommes d’infanterie, neuf mille dragons, quinze mille Cosaques ; trois mille matelots manœuvraient, et pouvaient servir de soldats dans les descentes. La cavalerie prit le chemin de terre par des déserts où l’eau manque souvent ; et quand on a passé ces déserts, il faut franchir les montagnes du Caucase, où trois cents hommes pourraient arrêter une armée ; mais dans l’anarchie où était la Perse, on pouvait tout tenter.

Le czar vogua environ cent lieues au midi d’Astracan jusqu’à la petite ville d’Andréhof. On est étonné de voir le nom d’André