Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
585
CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


S’il fit cet aveu de son propre mouvement, cela prouve qu’il ignorait le conseil de clémence que venait de donner ce même clergé qu’il accusait ; et cela prouve encore davantage combien le czar avait changé les mœurs des prêtres de son pays, qui de la grossièreté et de l’ignorance étaient parvenus en si peu de temps à pouvoir rédiger un écrit dont les plus illustres pères de l’Église n’auraient désavoué ni la sagesse ni l’éloquence.

C’est dans ces derniers aveux qu’Alexis déclare ce qu’on a déjà rapporté, qu’il voulait arriver à la succession, « de quelque manière que ce fût, excepté de la bonne ».

Il semblait, par cette dernière confession, qu’il craignit de ne s’être pas assez chargé, assez rendu criminel dans les premières, et qu’en se donnant à lui-même les noms de mauvais caractère, de méchant esprit, en imaginant ce qu’il aurait fait s’il avait été le maître, il cherchait avec un soin pénible à justifier l’arrêt de mort qu’on allait prononcer contre lui. En effet, cet arrêt fut porté le 5 juillet. Il se trouvera dans toute son étendue à la fin de cette histoire. On se contentera d’observer ici qu’il commence, comme l’avis du clergé, par déclarer qu’un tel jugement n’a jamais appartenu à des sujets, mais au seul souverain dont le pouvoir ne dépend que de Dieu seul. Ensuite, après avoir exposé toutes les charges contre le prince, les juges s’expriment ainsi : « Que penser de son dessein de rébellion, tel qu’il n’y en eut jamais de semblable dans le monde, joint à celui d’un horrible double parricide contre son souverain, comme père de la patrie, et père selon la nature ? »

Peut-être ces mots furent mal traduits d’après le procès criminel imprimé par ordre du czar : car assurément il y a de plus grandes rébellions dans le monde, et on ne voit point par les actes que jamais le czarovitz eût conçu le dessein de tuer son père. Peut-être entendait-on par ce mot de parricide l’aveu que ce prince venait de faire de s’être confessé un jour d’avoir souhaité la mort à son père et à son souverain ; mais l’aveu secret, dans la confession, d’une pensée secrète n’est pas un double parricide.

Quoi qu’il en soit, il fut jugé à mort unanimement, sans que l’arrêt prononçât le genre du supplice. De cent quarante-quatre juges[1], il n’y en eut pas un seul qui imaginât seulement une peine moindre que la mort. Un écrit anglais, qui fit beaucoup de bruit dans ce temps-là, porte que si un tel procès avait été jugé au par-

  1. Dans ses Anecdotes sur le czar Pierre le Grand, publiées en 1748, Voltaire n'avait porté le nombre des juges qu'à cent vingt-quatre.