Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
583
CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


quel il était déshérité ; et il valait mieux, disait-on, punir un coupable que d’exposer tout l’empire. La rigueur de la justice s’accordait avec la raison d’État.

Il ne faut pas juger des mœurs et des lois d’une nation par celles des autres ; le czar avait le droit fatal, mais réel, de punir de mort son fils pour sa seule évasion ; il s’en explique ainsi dans sa déclaration aux juges et aux évêques :

« Quoique, selon toutes les lois divines et humaines, et surtout suivant celles de Russie, qui excluent toute juridiction entre un père et un enfant parmi les particuliers, nous ayons un pouvoir assez abondant et absolu de juger notre fils, suivant ses crimes, selon notre volonté, sans en demander avis à personne ; cependant, comme on n’est point aussi clairvoyant dans ses propres affaires que dans celles des autres, et comme les médecins, même les plus experts, ne risquent point de se traiter eux-mêmes, et qu’ils en appellent d’autres dans leurs maladies ; craignant de charger ma conscience de quelque péché, je vous expose mon état et je vous demande du remède : car j’appréhende la mort éternelle, si, ne connaissant peut-être point la qualité de mon mal, je voulais m’en guérir seul, vu principalement que j’ai juré sur les jugements de Dieu, et que j’ai promis par écrit le pardon de mon fils, et je l’ai ensuite confirmé de bouche, au cas qu’il me dît la vérité.

Quoique mon fils ait violé sa promesse, toutefois, pour ne m’écarter en rien de mes obligations, je vous prie de penser à cette affaire, et de l’examiner avec la plus grande attention, pour voir ce qu’il a mérité. Ne me flattez point ; n’appréhendez pas que, s’il ne mérite qu’une légère punition, et que vous le jugiez ainsi, cela me soit désagréable : car je vous jure, par le grand Dieu et par ses jugements, que vous n’avez absolument rien à en craindre.

N’ayez point d’inquiétude sur ce que vous devez juger le fils de votre souverain ; mais, sans avoir égard à la personne, rendez justice, et ne perdez pas votre âme et la mienne ; enfin, que notre conscience ne nous reproche rien au jour terrible du jugement, et que notre patrie ne soit point lésée. »

Le czar fit au clergé une déclaration à peu près semblable ; ainsi tout se passa avec la plus grande authenticité, et Pierre mit dans toutes ses démarches une publicité qui montrait la persuasion intime de sa justice.

Ce procès criminel de l’héritier d’un si grand empire dura depuis la fin de février jusqu’au 5 juillet, n. st. Le prince fut interrogé plusieurs fois ; il fit les aveux qu’on exigeait : nous avons rapporté ceux qui sont essentiels.