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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


sa mort ; mais ce fils de famille était l’héritier de la plus vaste monarchie de notre hémisphère, et dans sa situation et dans sa place il n’y avait point de petite faute.

Accusé par sa maîtresse, il le fut encore au sujet de l’ancienne czarine sa mère, et de Marie sa sœur. On le chargea d’avoir consulté sa mère sur son évasion, et d’en avoir parlé à la princesse Marie. Un évêque de Rostou, confident de tous trois, fut arrêté, et déposa que ces deux princesses, prisonnières dans un couvent, avaient espéré un changement qui les mettrait en liberté, et avaient, par leurs conseils, engagé le prince à la fuite. Plus leurs ressentiments étaient naturels, plus ils étaient dangereux. On verra, à la fin de ce chapitre, quel était cet évêque, et quelle avait été sa conduite.

Alexis nia d’abord plusieurs faits de cette nature, et par cela même il s’exposait à la mort, dont son père l’avait menacé, en cas qu’il ne fît pas un aveu général et sincère.

Enfin il avoua quelques discours peu respectueux qu’on lui imputait contre son père, et il s’excusa sur la colère et sur l’ivresse.

Le czar dressa lui-même de nouveaux articles d’interrogatoire. Le quatrième était ainsi conçu :

« Quand vous avez vu, par la lettre de Beyer, qu’il y avait une révolte à l’armée du Mecklenbourg, vous en avez eu de la joie ; je crois que vous aviez quelque vue, et que vous vous seriez déclaré pour les rebelles, même de mon vivant. »

C’était interroger le prince sur le fond de ses sentiments secrets. On peut les avouer à un père dont les conseils les corrigent, et les cacher à un juge qui ne prononce que sur les faits avérés. Les sentiments cachés du cœur ne sont pas l’objet d’un procès criminel. Alexis pouvait les nier, les déguiser aisément ; il n’était pas obligé d’ouvrir son âme ; cependant il répondit par écrit : « Si les rebelles m’avaient appelé de votre vivant, j’y serais apparemment allé, supposé qu’ils eussent été assez forts. »

Il est inconcevable qu’il ait fait cette réponse de lui-même ; et il serait aussi extraordinaire, du moins suivant les mœurs de l’Europe, qu’on l’eût condamné sur l’aveu d’une idée qu’il aurait pu avoir un jour dans un cas qui n’est point arrivé.

À cet étrange aveu de ses plus secrètes pensées, qui ne s’étaient point échappées au delà du fond de son âme, on joignit des preuves qui, en plus d’un pays, ne sont pas admises au tribunal de la justice humaine.

Le prince, accablé, hors de ses sens, recherchant dans lui-