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CONDAMNATION D’ALEXIS PÉTROVITZ.


n’était pas capable de les gouverner. Il était donc important de connaître les malintentionnés ; et le czar menaça encore une fois son fils de mort, s’il lui cachait quelque chose. En conséquence le prince fut donc interrogé juridiquement par son père, et ensuite par des commissaires.

Une des charges qui servirent à sa condamnation fut une lettre d’un résident de l’empereur, nommé Beyer, écrite de Pétersbourg après l’évasion du prince ; cette lettre portait qu’il y avait de la mutinerie dans l’armée russe assemblée dans le Mecklenbourg ; que plusieurs officiers parlaient d’envoyer la nouvelle czarine Catherine et son fils dans la prison où était la czarine répudiée, et de mettre Alexis sur le trône quand on l’aurait retrouvé. Il y avait en effet alors une sédition dans cette armée du czar, mais elle fut bientôt réprimée. Ces propos vagues n’eurent aucune suite. Alexis ne pouvait les avoir encouragés ; un étranger en parlait comme d’une nouvelle : la lettre n’était point adressée au prince Alexis, et il n’en avait qu’une copie qu’on lui avait envoyée de Vienne.

Une accusation plus grave fut une minute de sa propre main d’une lettre écrite de Vienne aux sénateurs et aux archevêques de Russie ; les termes en étaient forts : « Les mauvais traitements continuels que j’ai essuyés sans les avoir mérités m’ont obligé de fuir : peu s’en est fallu qu’on ne m’ait mis dans un couvent. Ceux qui ont enfermé ma mère ont voulu me traiter de même. Je suis sous la protection d’un grand prince ; je vous prie de ne me point abandonner à présent. » Ce mot d’à présent, qui pouvait être regardé comme séditieux, était rayé, et ensuite remis de sa main, et puis rayé encore ; ce qui marquait un jeune homme troublé, se livrant à son ressentiment, et s’en repentant au moment même. On ne trouva que la minute de ces lettres ; elles n’étaient jamais parvenues à leur destination, et la cour de Vienne les retint, preuve assez forte que cette cour ne voulait pas se brouiller avec celle de Russie, et soutenir à main armée le fils contre le père.

On confronta plusieurs témoins au prince ; l’un d’eux, nommé Afanassief, soutint qu’il lui avait entendu dire autrefois : « Je dirai quelque chose aux évêques, qui le rediront aux curés, les curés aux paroissiens, et on me fera régner, fût-ce malgré moi. »

Sa propre maîtresse, Afrosine, déposa contre lui. Toutes les accusations n’étaient pas bien précises ; nul projet digéré, nulle intrigue suivie, nulle conspiration, aucune association, encore moins de préparatifs. C’était un fils de famille mécontent et dépravé, qui se plaignait de son père, qui le fuyait, et qui espérait