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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE IV.


était captif en Turquie ; et il comptait écarter le fléau de la guerre de tout le Nord au moyen de ces séquestres. Le Danemark lui-même se prêtait enfin aux négociations de Görtz : il gagna absolument l’esprit du prince Menzikoff, général et favori du czar : il lui persuada qu’on pourrait céder le Holstein à son maître ; il flatta le czar de l’idée de percer un canal du Holstein dans la mer Baltique, entreprise si conforme au goût de ce fondateur, et surtout d’obtenir une puissance nouvelle en voulant bien être un des princes de l’empire d’Allemagne, et en acquérant aux diètes de Ratisbonne un droit de suffrage qui serait toujours soutenu par le droit des armes.

On ne peut ni se plier en plus de manières, ni prendre plus de formes différentes, ni jouer plus de rôles que fit ce négociateur volontaire ; il alla jusqu’à engager le prince Menzikoff à ruiner cette même ville de Stetin, qu’il voulait sauver, à la bombarder, afin de forcer le commandant Meyerfelt à la remettre en séquestre ; et il osait ainsi outrager le roi de Suède, auquel il voulait plaire, et à qui en effet il ne plut que trop dans la suite, pour son malheur.

Quand le roi de Prusse vit qu’une armée russe bombardait Stetin, il craignit que cette ville ne fût perdue pour lui, et ne restât à la Russie : c’était où Görtz l’attendait. Le prince Menzikoff manquait d’argent, il lui fit prêter quatre cent mille écus par le roi de Prusse ; il fit parler ensuite au gouverneur de la place. « Lequel aimez-vous mieux, lui dit-on, ou de voir Stetin en cendres sous la domination de la Russie, ou de la confier au roi de Prusse, qui la rendra au roi votre maître ? » Le commandant se laissa enfin persuader, il se rendit, Menzikoff entra dans la place, et, moyennant les quatre cent mille écus, il la remit, avec tout le territoire, entre les mains du roi de Prusse, qui, pour la forme, y laissa entrer deux bataillons de Holstein, et qui n’a jamais rendu depuis cette partie de la Poméranie.

Dès lors le second roi de Prusse, successeur d’un roi faible et prodigue, jeta les fondements de la grandeur où son pays parvint dans la suite, par la discipline militaire et par l’économie.

Le baron de Görtz, qui fit mouvoir tant de ressorts, ne put venir à bout d’obtenir que les Danois pardonnassent à la province de Holstein, ni qu’ils renonçassent à s’emparer de Tonninge : il manqua ce qui paraissait être son premier but ; mais il réussit à tout le reste, et surtout à devenir un personnage important dans le nord, ce qui était en effet sa vue principale.

Déjà l’électeur de Hanovre s’était assuré de Brême et de Ver-