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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE IV.


ottoman, qui menaçait encore le czar d’une nouvelle guerre ; et dans cette espérance il ordonna à son général Stenbock de se porter en Pologne, croyant toujours, au moindre succès, que le temps de Narva et ceux où il faisait des lois[1] allaient renaître. Ces idées furent bientôt après confondues par l’affaire de Bender et par sa captivité chez les Turcs.

Tout le fruit de la victoire de Gadebesk fut d’aller réduire en cendres pendant la nuit la petite ville d’Altena, peuplée de commerçants et de manufacturiers ; ville sans défense, qui, n’ayant pas pris les armes, ne devait point être sacrifiée : elle fut entièrement détruite ; plusieurs habitants expirèrent dans les flammes ; d’autres, échappés nus à l’incendie, vieillards, femmes, enfants, expirèrent de froid et de fatigues aux portes de Hambourg[2]. Tel a été souvent le sort de plusieurs milliers d’hommes pour les querelles de deux hommes. Stenbock ne recueillit que cet affreux avantage. Les Russes, les Danois, les Saxons, le poursuivirent si vivement, après sa victoire, qu’il fut obligé de demander un asile dans Tonninge, forteresse du Holstein, pour lui et pour son armée.

Le pays de Holstein était alors un des plus dévastés du Nord, et son souverain un des plus malheureux princes. C’était le propre neveu de Charles XII ; c’était pour son père, beau-frère de ce monarque, que Charles avait porté ses armes jusque dans Copenhague avant la bataille de Narva ; c’était pour lui qu’il avait fait le traité de Travendal, par lequel les ducs de Holstein étaient rentrés dans leurs droits.

Ce pays est en partie le berceau des Cimbres et de ces anciens Normands qui conquirent la Neustrie en France, l’Angleterre entière, Naples et Sicile. On ne peut être aujourd’hui moins en état de faire des conquêtes que l’est cette partie de l’ancienne Chersonèse cimbrique ; deux petits duchés la composent : Slesvick, appartenant au roi de Danemark et au duc en commun ; Gottorp, au duc de Holstein seul. Slesvick est une principauté souveraine : Holstein est membre de l’empire d’Allemagne, qu’on appelle empire romain.

Le roi de Danemark et le duc de Holstein-Gottorp étaient de la même maison ; mais le duc, neveu de Charles XII, et son héritier présomptif, était né l’ennemi du roi de Danemark, qui accablait

  1. Peut-être faudrait-il des rois ; mais aucune édition ne le porte. (B.)
  2. Le chapelain confesseur Nordberg dit froidement, dans son histoire, que le général Stenbock ne mit le feu à la ville que parce qu’il n’avait pas de voitures pour emporter les meubles. (Note de Voltaire.)