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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE I.


La Livonie n’était point encore tout entière au pouvoir du czar quand Achmet III prit, dès le mois d’auguste, la résolution de se déclarer. Il pouvait à peine savoir la reddition de Riga. La proposition de rendre en argent les effets perdus par le roi de Suède à Pultava serait de toutes les idées la plus ridicule, si celle de démolir Pétersbourg ne l’était davantage. Il y eut beaucoup de romanesque dans la conduite de Charles à Bender ; mais celle du divan eût été plus romanesque encore s’il eût fait de telles demandes.

Le kan des Tartares, qui fut le grand moteur de cette guerre[1], alla voir Charles dans sa retraite[2]. Ils étaient unis par les mêmes intérêts, puisque Azof est frontière de la petite Tartarie. Charles et le kan de Crimée étaient ceux qui avaient le plus perdu par l’agrandissement du czar ; mais ce kan ne commandait point les armées du Grand Seigneur : il était comme les princes feudataires d’Allemagne, qui ont servi l’empire avec leurs propres troupes, subordonnées au général de l’empereur allemand.

La première démarche du divan fut de faire arrêter[3] dans les rues de Constantinople l’ambassadeur du czar Tolstoy, et trente de ses domestiques, et de l’enfermer au château des Sept-Tours. Cet usage barbare, dont les sauvages auraient honte, vient de ce que les Turcs ont toujours des ministres étrangers résidant continuellement chez eux, et qu’ils n’envoient jamais d’ambassadeurs ordinaires. Ils regardent les ambassadeurs des princes chrétiens comme des consuls de marchands ; et, n’ayant pas d’ailleurs moins de mépris pour les chrétiens que pour les juifs, ils ne daignent observer avec eux le droit des gens que quand ils y sont forcés ; du moins, jusqu’à présent, ils ont persisté dans cet orgueil féroce.

Le célèbre vizir Achmet Couprougli, qui prit Candie sous Mahomet IV, avait traité le fils d’un ambassadeur de France avec outrage, et, ayant poussé la brutalité jusqu’à le frapper, l’avait envoyé en prison sans que Louis XIV, tout fier qu’il était, s’en fût autrement ressenti qu’en envoyant un autre ministre à la Porte. Les princes chrétiens, très-délicats entre eux sur le point d’honneur, et qui l’ont même fait entrer dans le droit public, semblaient l’avoir oublié avec les Turcs.

    source. Il paraît que ce confesseur n’était pas le confident de Charles XII. (Note de Voltaire.)

  1. Le sultan fut déterminé par le ministre français à Constantinople, M. Désaleurs, et par l’agent de Charles XII, Poniatowski. (G. A).
  2. Novembre 1710. (Note de Voltaire.)
  3. 29 novembre 1710. (Id.)