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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XIX.


l’usage, et il crut que ce serait trop s’abaisser. Une pareille opiniâtreté le brouilla avec tous les ministres de la Porte successivement : il ne savait s’accommoder ni aux temps ni aux lieux[1].

Aux premières nouvelles de la bataille de Pultava, ce fut une révolution générale dans les esprits et dans les affaires en Pologne, en Saxe, en Suède, en Silésie. Charles, quand il donnait des lois, avait exigé de l’empereur d’Allemagne Joseph Ier qu’on dépouillât les catholiques de cent cinq églises en faveur des Silésiens de la confession d’Augsbourg ; les catholiques reprirent presque tous les temples luthériens, dès qu’ils furent informés de la disgrâce de Charles. Les Saxons ne songèrent qu’à se venger des extorsions d’un vainqueur qui leur avait coûté, disaient-ils, vingt-trois millions d’écus. Leur électeur, roi de Pologne, protesta sur-le-champ[2] contre l’abdication qu’on lui avait arrachée, et, étant rentré dans les bonnes grâces du czar, il s’empressa de remonter sur le trône de Pologne. La Suède, consternée, crut longtemps son roi mort, et le sénat incertain ne pouvait prendre aucun parti.

Pierre prit incontinent celui de profiter de sa victoire : il fait partir le maréchal Sheremetof avec une armée pour la Livonie, sur les frontières de laquelle ce général s’était signalé tant de fois. Le prince Menzikoff fut envoyé en diligence avec une nombreuse cavalerie pour seconder le peu de troupes laissées en Pologne, pour encourager toute la noblesse du parti d’Auguste, pour chasser le compétiteur que l’on ne regardait plus que comme un rebelle, et pour dissiper quelques troupes suédoises qui restaient encore sous le général suédois Crassau.

Pierre part bientôt lui-même, passe par la Kiovie, par les palatinats de Chelmet de la haute Volhinie, arrive à Lublin, se concerte avec le général de la Lithuanie ; il voit ensuite les troupes de la couronne, qui prêtent serment de fidélité au roi Auguste[3] ; de là se rend à Varsovie, et jouit à Thorn du plus beau de tous les triomphes, celui de recevoir[4] les remerciements d’un roi auquel il rendait ses États. C’est là qu’il conclut un traité contre la Suède avec les rois de Danemark, de Pologne, et de Prusse. Il s’agissait déjà de reprendre toutes les conquêtes de Gustave-Adolphe. Pierre

  1. La Motraye, dans le récit de ses voyages, rapporte une lettre de Charles XII au grand vizir ; mais cette lettre est fausse comme la plupart des récits de ce voyageur mercenaire ; et Nordberg lui-même avoue que le roi de Suède ne voulut jamais écrire au grand vizir. (Note de Voltaire.)
  2. 8 août. (Id.)
  3. 18 septembre. (Id.)
  4. 7 octobre. (Id.)