Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
PRISE DE NARVA.


canons. Alors[1] on assiége Narva par terre et par mer ; et, ce qui est plus singulier, on assiége en même temps la ville de Derpt en Estonie.

Qui croirait qu’il y eût une université dans Derpt ? Gustave-Adolphe l’avait fondée, et elle n’avait pas rendu la ville plus célèbre. Derpt n’est connue que par l’époque de ces deux siéges, Pierre va incessamment de l’un à l’autre, presser les attaques, et diriger toutes les opérations. Le général suédois Slipenbach était auprès de Derpt avec environ deux mille cinq cents hommes.

Les assiégés attendaient le moment où il allait jeter du secours dans la place. Pierre imagina une ruse de guerre dont on ne se sert pas assez. Il fait donner à deux régiments d’infanterie, et à un de cavalerie, des uniformes, des étendards, des drapeaux suédois. Ces prétendus Suédois attaquent les tranchées. Les Russes feignent de fuir ; la garnison, trompée par l’apparence, fait une sortie[2] : alors les faux attaquants et les attaqués se réunissent, ils fondent sur la garnison, dont la moitié est tuée, et l’autre moitié rentre dans la ville. Slipenbach arrive bientôt en effet pour la secourir, et il est entièrement battu. Enfin Derpt est contrainte de capituler[3] au moment que Pierre allait donner un assaut général.

Un assez grand échec que le czar reçoit en même temps sur le chemin de sa nouvelle ville de Pétersbourg ne l’empêche ni de continuer à bâtir sa ville, ni de presser le siége de Narva. Il avait, comme on l’a vu[4], envoyé des troupes et de l’argent au roi Auguste, qu’on détrônait ; ces deux secours furent également inutiles. Les Russes, joints aux Lithuaniens du parti d’Auguste, furent absolument défaits en Courlande[5] par le général suédois Levenhaupt. Si les vainqueurs avaient dirigé leurs efforts vers la Livonie, l’Estonie et l’Ingrie, ils pouvaient ruiner les travaux du czar, et lui faire perdre tout le fruit de ses grandes entreprises. Pierre minait chaque jour l’avant-mur de la Suède, et Charles ne s’y opposait pas assez : il cherchait une gloire moins utile et plus brillante.

Dès le 12 juillet 1704, un simple colonel suédois, à la tête d’un détachement, avait fait élire un nouveau roi par la noblesse polonaise dans le champ d’élection, nommé Kolo, près de Varsovie. Un cardinal primat du royaume, et plusieurs évêques, se soumettaient aux volontés d’un prince luthérien, malgré toutes les me-

  1. Avril. (Note de Voltaire.)
  2. 27 juin. (Id.)
  3. 23 juillet. (Id.)
  4. Page précédente.
  5. 31 juillet. (Note de Voltaire.)