Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
468
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE X.


que les mathématiciens anglais rejetaient, et qu’il faudra bien un jour recevoir dans tous les pays[1].

Depuis le ve siècle, temps auquel on avait connu l’usage des lettres, on écrivait sur des rouleaux, soit d’écorce, soit de parchemin, et ensuite sur du papier. Le czar fut obligé de donner un édit par lequel il était ordonné de n’écrire que selon notre usage.

La réforme s’étendit à tout. Les mariages se faisaient auparavant comme dans la Turquie et dans la Perse, où l’on ne voit celle qu’on épouse que lorsque le contrat est signé, et qu’on ne peut plus s’en dédire. Cet usage est bon chez des peuples où la polygamie est établie, et où les femmes sont renfermées ; il est mauvais pour les pays où l’on est réduit à une femme, et où le divorce est rare.

Le czar voulut accoutumer sa nation aux mœurs et aux coutumes des nations chez lesquelles il avait voyagé, et dont il avait tiré tous les maîtres qui instruisaient alors la sienne.

Il était utile que les Russes ne fussent point vêtus d’une autre manière que ceux qui leur enseignaient les arts, la haine contre les étrangers étant trop naturelle aux hommes, et trop entretenue par la différence des vêtements. L’habit de cérémonie, qui tenait alors du polonais, du tartare, et de l’ancien hongrois, était, comme on l’a dit[2], très-noble ; mais l’habit des bourgeois et du bas peuple ressemblait à ces jaquettes plissées vers la ceinture, qu’on donne encore à certains pauvres dans quelques-uns de nos hôpitaux. En général la robe fut autrefois le vêtement de toutes les nations ; ce vêtement demandait moins de façons et moins d’art : on laissait croître sa barbe par la même raison. Le czar n’eut pas de peine à introduire l’habit de nos nations, et la coutume de se raser à sa cour ; mais le peuple fut plus difficile ; on fut obligé d’imposer une taxe sur les habits longs et sur les barbes. On suspendait aux portes de la ville des modèles de justaucorps : on coupait les robes et les barbes à qui ne voulait pas payer. Tout cela s’exécutait gaiement, et cette gaieté même prévint les séditions[3].

L’attention de tous les législateurs fut toujours de rendre les hommes sociables ; mais, pour l’être, ce n’est pas assez d’être ras-

  1. Le calendrier grégorien n’est pas encore admis en Russie ; il n’a été reçu en Angleterre qu’en 1752.
  2. Page 420.
  3. Il y eut moins de gaieté que le dit Voltaire. Ce fut même le germe d’un mécontentement qui éclata plus tard en révolte. (G. A.)