Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
CHAPITRE LIV.


sans aucune contradiction, du destin du royaume, et le moment d’après il retomba dans l’état dont la mort de Louis XIII l’avait tiré. La reine voulut être toute-puissante, et le fut jusqu’au temps des Barricades.

Mais avant que le parlement donnât ainsi la régence, et cassât le testament du roi en qualité de cour des pairs, garnie de pairs, il faut remarquer que par les anciennes lois le parlement n’existait plus. La mort du roi le dissolvait ; il fallait que les présidents et les conseillers fussent confirmés dans leurs charges par le nouveau souverain, et qu’ils fissent un nouveau serment. Cette cérémonie n’avait pas été observée dans le tumulte et l’horreur que l’assassinat de Henri IV répandit. Le chancelier Séguier voulut faire revivre la loi oubliée ; le parlement l’éluda[1]. Il fut présenté dans le Louvre à la reine ; il salua le roi, il protesta de son respect et de son obéissance ; et il ne fut question ni de confirmation d’offices, ni de serment de fidélité.

Le cardinal Mazarin gouverna despotiquement la reine et le royaume sans qu’aucun grand fit entendre d’abord le moindre murmure : on était accoutumé à recevoir la loi d’un prêtre ; on ne fit pas même attention que Mazarin était étranger. Les victoires du duc d’Enghien, si célèbre sous le nom de grand Condé, faisaient l’allégresse publique et rendaient la reine respectable. Mais cet article important des finances, qui est la base de tout, qui seul fait naître souvent les révolutions, les prévient et les étouffe, commença bientôt à préparer les séditions.

Mazarin entendait cette partie du gouvernement plus mal encore que Richelieu. Il borna sa science sur ce point essentiel, dans tout le cours de son ministère, à se procurer une fortune de cent millions ; c’était le premier homme du monde pour l’intrigue, et le dernier pour le reste. Ceux qui administraient l’argent de l’État sous ses ordres n’eurent d’autres vues que de procurer de prompts secours par des moyens toujours petits, mal imaginés, et souvent injustes. Les plus pauvres habitants de Paris avaient bâti de chétives maisons ou des cabanes hors des anciennes limites de la ville. Un Italien, nommé Particelli d’Émeri[2], favori du cardinal et contrôleur général, s’avisa de proposer une taxe assez forte sur ces pauvres familles. Elles s’attroupèrent,[3]

  1. Mémoires de Talon. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez Siècle de Louis XIV, chapitre IV. Voltaire y met à 1646 et 1647 les événements qu’il place ici par erreur en 1644. (B.)
  3. 1644. (Note de Voltaire.)