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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.


Il en est ainsi de plusieurs animaux dont l’espèce est très-rare.

Quant aux Borandiens, dont il est parlé souvent dans la savante Histoire du jardin du Roi[1] de France, mes Mémoires disent que ce peuple est absolument inconnu.

Tout le midi de ces contrées est peuplé de nombreuses hordes de Tartares. Les anciens Turcs sont sortis de cette Tartarie pour aller subjuguer tous les pays dont ils sont aujourd’hui en possession. Les Calmoucks, les Monguls, sont ces mêmes Scythes qui, conduits par Madiès, s’emparèrent de la haute Asie, et vainquirent le roi des Mèdes Cyaxares. Ce sont eux que Gengis-kan et ses enfants menèrent depuis jusqu’en Allemagne, et qui formèrent l’empire du Mogol sous Tamerlan. Ces peuples sont un grand exemple des changements arrivés chez toutes les nations. Quelques-unes de leurs hordes, loin d’être redoutables, sont devenues vassales de la Russie.

Telle est une nation de Calmoucks qui habite entre la Sibérie et la mer Caspienne. C’est là qu’on a trouvé, en 1720, une maison souterraine de pierre, des urnes, des lampes, des pendants d’oreilles, une statue équestre d’un prince oriental portant un diadème sur sa tête, deux femmes assises sur des trônes, un rouleau de manuscrits envoyé par Pierre le Grand à l’Académie des inscriptions de Paris, et reconnu pour être en langue du Thibet : tous témoignages singuliers que les arts ont habité ce pays aujourd’hui barbare, et preuves subsistantes de ce qu’a dit Pierre le Grand plus d’une fois, que les arts avaient fait le tour du monde.

La dernière province est le Kamtschatka, le pays le plus oriental du continent[2]. Le nord de cette contrée fournit aussi de belles fourrures ; les habitants s’en revêtaient l’hiver, et marchaient nus l’été. On fut surpris de trouver dans les parties méridionales des hommes avec de longues barbes, tandis que dans les parties septentrionales, depuis le pays des Samoyèdes jusqu’à l’embouchure du fleuve Amour ou Amur, les hommes n’ont pas plus de barbe que les Américains. C’est ainsi que dans l’empire de Russie il y a plus de différentes espèces, plus de singularités, plus de mœurs différentes que dans aucun pays de l’univers.

    fait remarquer dans l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs (tome XI, page 6), où Voltaire a reproduit quelques-unes des idées qu’on trouve dans ce paragraphe.

  1. Par Buffon.
  2. En 1759, on lisait ici cette phrase : « Les habitants étaient absolument sans religion quand on l’a découvert. Le Nord, etc. » Elle devait disparaître lors de l’insertion faite, dès 1768, des sept alinéas qui suivent celui-ci. (B.)