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LIVRE PREMIER.


face de son pays, voulut aussi être grand par le commerce, qui fait à la fois la richesse d’un État et les avantages du monde entier. Il entreprit de rendre la Russie le centre du négoce de l’Asie et de l’Europe. Il voulait joindre par des canaux, dont il dressa le plan, la Duine, le Volga, le Tanaïs, et s’ouvrir des chemins nouveaux de la mer Baltique au Pont-Euxin et à la mer Caspienne, et de ces deux mers à l’Océan septentrional.

Le port d’Archangel, fermé par les glaces neuf mois de l’année, et dont l’abord exigeait un circuit long et dangereux, ne lui paraissait pas assez commode. Il avait, dès l’an 1700, le dessein de bâtir sur la mer Baltique un port qui deviendrait le magasin du Nord, et une ville qui serait la capitale de son empire.

Il cherchait déjà un passage par les mers du nord-est à la Chine ; et les manufactures de Paris et de Pékin devaient embellir sa nouvelle ville.

Un chemin par terre, de sept cent cinquante-quatre verstes[1], pratiqué à travers des marais qu’il fallait combler, conduit de Moscou à sa nouvelle ville. La plupart de ses projets ont été exécutés par ses mains ; et deux impératrices[2], qui lui ont succédé l’une après l’autre, ont encore été au delà de ses vues, quand elles étaient praticables, et n’ont abandonné que l’impossible.

Il a voyagé toujours dans ses États, autant que ses guerres l’ont pu permettre ; mais il a voyagé en législateur et en physicien, examinant partout la nature, cherchant à la corriger ou à la perfectionner, sondant lui-même les profondeurs des fleuves et des mers, ordonnant des écluses, visitant des chantiers, faisant fouiller des mines, éprouvant les métaux, faisant lever des cartes exactes, et y travaillant de sa main.

Il a bâti dans un lieu sauvage la ville impériale de Pétersbourg, qui contient aujourd’hui soixante mille maisons, où s’est formée de nos jours une cour brillante, et où enfin on connaît les plaisirs délicats. Il a bâti le port de Cronstadt sur la Neva, Sainte-Croix sur les frontières de la Perse, des forts dans l’Ukraine, dans la Sibérie ; des amirautés à Archangel, à Pétersbourg, à Astracan, à Azof ; des arsenaux, des hôpitaux ; il faisait toutes ses maisons petites et de mauvais goût, mais il prodiguait pour les maisons publiques la magnificence et la grandeur.

Les sciences, qui ont été ailleurs le fruit tardif de tant de siècles, sont venues par ses soins dans ses États toutes perfectionnées.

  1. Un verste est de 750 pas. (Note de Voltaire.)
  2. Anne et Élisabeth. Voyez l’Avant-propos de l’Histoire de Russie.