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LIVRE PREMIER.


bizarre, les duchés de Holstein-Gottorp et de Slesvick, établissant que les descendants d’Adolphe gouverneraient désormais le Holstein conjointement avec les rois de Danemark ; que ces deux duchés leur appartiendraient en commun, et que le roi de Danemark ne pourrait rien innover dans le Holstein sans le duc, ni le duc sans le roi. Une union si étrange, dont pourtant il y avait déjà eu un exemple dans la même maison pendant quelques années, était, depuis près de quatre-vingts ans, une source de querelles entre la branche de Danemark et celle de Holstein-Gottorp : les rois cherchant toujours à opprimer les ducs, et les ducs à être indépendants. Il en avait coûté la liberté et la souveraineté au dernier duc. Il avait recouvré l’une et l’autre aux conférences d’Altena, en 1689, par l’entremise de la Suède, de l’Angleterre, et de la Hollande, garants de l’exécution du traité. Mais comme un traité entre les souverains n’est souvent qu’une soumission à la nécessité jusqu’à ce que le plus fort puisse accabler le plus faible, la querelle renaissait plus envenimée que jamais entre le nouveau roi de Danemark et le jeune duc. Tandis que le duc était à Stockholm, les Danois faisaient déjà des actes d’hostilité dans le pays de Holstein, et se liguaient secrètement avec le roi de Pologne pour accabler le roi de Suède lui-même.

Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, que ni l’éloquence et les négociations de l’abbé de Polignac[1], ni les grandes qualités du prince de Conti, son concurrent au trône, n’avaient pu empêcher d’être élu depuis deux ans roi de Pologne, était un prince moins connu encore par sa force de corps incroyable que par sa bravoure et la galanterie de son esprit. Sa cour était la plus brillante de l’Europe après celle de Louis XIV. Jamais prince ne fut plus généreux, ne donna plus, n’accompagna ses dons de tant de grâce. Il avait acheté la moitié des suffrages de la noblesse polonaise, et forcé l’autre par l’approche d’une armée saxonne. Il crut avoir besoin de ses troupes pour se mieux affermir sur le trône, mais il fallait un prétexte pour les retenir en Pologne. Il les destina à attaquer le roi de Suède en Livonie, à l’occasion que l’on va rapporter.

La Livonie, la plus belle et la plus fertile province du Nord, avait appartenu autrefois aux chevaliers de l’ordre teutonique. Les Russes, les Polonais et les Suédois s’en étaient disputé la possession, La Suède l’avait enlevée depuis près de cent années, et elle lui avait été enfin cédée solennellement par la paix d’Oliva.

  1. Voyez, tome XIV, le Siècle de Louis XIV, chapitre XVII.