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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Dès que Charles fut maître, il donna sa confiance et le maniement des affaires au conseiller Piper, qui fut bientôt son premier ministre sans en avoir le nom. Peu de jours après il le fit comte ; ce qui est une qualité éminente en Suède, et non un vain titre qu’on puisse prendre sans conséquence comme en France.

Les premiers temps de l’administration du roi ne donnèrent point de lui des idées favorables : il parut qu’il avait été plus impatient que digne de régner. Il n’avait, à la vérité, aucune passion dangereuse ; mais on ne voyait dans sa conduite que des emportements de jeunesse et de l’opiniâtreté. Il paraissait inappliqué et hautain. Les ambassadeurs qui étaient à sa cour le prirent même pour un génie médiocre, et le peignirent tel à leurs maîtres[1]. La Suède avait de lui la même opinion : personne ne connaissait son caractère ; il l’ignorait lui-même, lorsque des orages formés tout à coup dans le Nord donnèrent à ses talents cachés occasion de se déployer.

Trois puissants princes, voulant se prévaloir de son extrême jeunesse, conspirèrent sa ruine presque en même temps. Le premier fut Frédéric IV, roi de Danemark, son cousin ; le second, Auguste[2], électeur de Saxe, roi de Pologne ; Pierre le Grand, czar de Moscovie, était le troisième et le plus dangereux[3]. Il faut développer l’origine de ces guerres, qui ont produit de si grands événements, et commencer par le Danemark.

De deux sœurs qu’avait Charles XII, l’aînée avait épousé le duc de Holstein, jeune prince plein de bravoure et de douceur. Le duc, opprimé par le roi de Danemark, vint à Stockholm avec son épouse se jeter entre les bras du roi, et lui demander du secours, non-seulement comme à son beau-frère, mais comme au roi d’une nation qui a pour les Danois une haine irréconciliable.

L’ancienne maison de Holstein, fondue dans celle d’Oldenbourg, était montée sur le trône de Danemark par élection en 1449. Tous les royaumes du Nord étaient alors électifs. Celui de Danemark devint bientôt héréditaire. Un de ses rois, nommé Christiern III, eut pour son frère Adolphe une tendresse ou des ménagements dont on ne trouve guère d’exemple chez les princes. Il ne voulait point le laisser sans souveraineté, mais il ne pouvait démembrer ses propres États. Il partagea avec lui, par un accord

  1. Les lettres originales en font foi. (Note de Voltaire.) — Cette note est une réponse à Nordberg, qui s’était indigné de l’effronterie de Voltaire dans ce passage. (G. A.)
  2. Voyez la note, tome XIII, page 213.
  3. Tous ces princes avaient de vingt-six à vingt-sept ans.