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LIVRE PREMIER.


encore plus la puissance de l’empereur que celle de l’hérésie. Ce fut lui qui, par ses victoires, contribua alors en effet à l’abaissement de la maison d’Autriche ; entreprise dont on attribue toute la gloire au cardinal de Richelieu, qui savait l’art de se faire une réputation, tandis que Gustave se bornait à faire de grandes choses. Il allait porter la guerre au-delà du Danube, et peut-être détrôner l’empereur, lorsqu’il fut tué, à l’âge de trente-sept ans, dans la bataille de Lutzen[1], qu’il gagna contre Valstein, emportant dans le tombeau le nom de Grand, les regrets du Nord, et l’estime de ses ennemis.

Sa fille Christine, née avec un génie rare, aima mieux converser avec des savants que de régner sur un peuple qui ne connaissait que les armes. Elle se rendit aussi illustre en quittant le trône, que ses ancêtres l’étaient pour l’avoir conquis ou affermi. Les protestants l’ont déchirée, comme si on ne pouvait pas avoir de grandes vertus sans croire à Luther ; et les papes triomphèrent trop de la conversion d’une femme qui n’était que philosophe[2]. Elle se retira à Rome, où elle passa le reste de ses jours dans le centre des arts qu’elle aimait, et pour lesquels elle avait renoncé à un empire à l’âge de vingt-sept ans.

Avant d’abdiquer, elle engagea les états de la Suède à élire en sa place son cousin Charles-Gustave, dixième de ce nom, fils du comte palatin, duc de Deux-Ponts. Ce roi ajouta de nouvelles conquêtes à celles de Gustave-Adolphe : il porta d’abord ses armes en Pologne, où il gagna la célèbre bataille de Varsovie, qui dura trois jours. Il fit longtemps la guerre heureusement contre les Danois, assiégea leur capitale, réunit la Scanie à la Suède, et fit assurer, du moins pour un temps, la possession de Slesvick au duc de Holstein. Ensuite, ayant éprouvé des revers et fait la paix avec ses ennemis, il tourna son ambition contre ses sujets. Il conçut le dessein d’établir en Suède la puissance arbitraire ; mais il mourut[3] à l’âge de trente-sept ans, comme le grand Gustave, avant d’avoir pu achever cet ouvrage du despotisme, que son fils Charles XI éleva jusqu’au comble.

Charles XI, guerrier comme tous ses ancêtres, fut plus absolu qu’eux. Il abolit l’autorité du sénat, qui fut déclaré le sénat du roi, et non du royaume. Il était frugal, vigilant, laborieux, tel

  1. 16 novembre 1632 ; voyez tome XIII, page 20.
  2. Voltaire parla plus tard avec moins de réserve de Christine ; voyez, tome XIV, le chapitre VI du Siècle de Louis XIV ; et la note, tome XIII, page 573.
  3. Le 23 février 1660.