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LIVRE PREMIER.


Pologne, en Suède, en Angleterre, l’homme de la république[1]. Ce roi ne pouvait rien sans le sénat ; et le sénat dépendait des états généraux, que l’on convoquait souvent. Les représentants de la nation, dans ces grandes assemblées, étaient les gentilshommes, les évêques, les députés des villes ; avec le temps on y admit les paysans mêmes, portion du peuple injustement méprisée ailleurs, et esclave dans presque tout le Nord.

Environ l’an 1492[2], cette nation, si jalouse de sa liberté, et qui est encore fière aujourd’hui d’avoir subjugué Rome il y a treize siècles[3], fut mise sous le joug par une femme et par un peuple moins puissant que les Suédois.

Marguerite de Valdemar, la Sémiramis du Nord[4], reine de Danemark et de Norvége, conquit la Suède par force et par adresse, et fit un seul royaume de ces trois vastes États. Après sa mort, la Suède fut déchirée par des guerres civiles : elle secoua le joug des Danois, elle le reprit ; elle eut des rois, elle eut des administrateurs. Deux tyrans l’opprimèrent d’une manière horrible vers l’an 1520 : l’un était Christiern II, roi de Danemark, monstre formé de vices sans aucune vertu[5] ; l’autre, un archevêque d’Upsal[6], primat du royaume, aussi barbare que Christiern. Tous deux de concert firent saisir un jour les consuls, les magistrats de Stockholm, avec quatre-vingt-quatorze sénateurs, et les firent massacrer par des bourreaux, sous prétexte qu’ils étaient excommuniés par le pape pour avoir défendu les droits de l’État contre l’archevêque[7].

Tandis que ces deux hommes, ligués pour opprimer, désunis quand il fallait partager les dépouilles, exerçaient ce que le despotisme a de plus tyrannique, et ce que la vengeance a de plus cruel, un nouvel événement changea la face du Nord.

Gustave Vasa, jeune homme descendu des anciens rois du pays, sortit du fond des forêts de la Dalécarlie où il était caché, et vint délivrer la Suède. C’était une de ces grandes âmes que la

  1. De cette phrase, qui n’est plus juste en ce qui regarde la France, l’auteur avait, à quelques mots près, formé, en 1739, une note sur la huitième des Lettres philosophiques.
  2. Ou plutôt l’an 1397.
  3. Rome fut prise par Alaric en 409.
  4. Ce n’est pas Voltaire qui est le baptiseur de cette reine. Le surnom pour celle-ci est traditionnel.
  5. Voyez tome XII, pages 227-230.
  6. Troll.
  7. Voyez tome XII, pages 295-296. — Variante : « Ensuite ils abandonnèrent Stockholm au pillage, et tout y fut égorgé sans distinction d’âge ni de sexe. »