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DISCOURS SUR L'HISTOIRE DE CHARLES XII.


lorsqu’on écrivit cette histoire en 1728, cessent déjà de l’être aujourd’hui[1] en 1739. Le commerce commence, par exemple, à être moins négligé en Suède. L’infanterie polonaise est mieux disciplinée, et a des habits d’ordonnance qu’elle n’avait pas alors. Il faut toujours, lorsqu’on lit une histoire, songer au temps où l’auteur a écrit. Un homme qui ne lirait que le cardinal de Retz prendrait les Français pour des forcenés qui ne respirent que la guerre civile, la faction, et la folie. Celui qui ne lirait que l’histoire des belles années de Louis XIV dirait : Les Français sont nés pour obéir, pour vaincre, et pour cultiver les arts. Un autre qui verrait les mémoires des premières années de Louis XV ne remarquerait dans notre nation que de la mollesse, une avidité extrême de s’enrichir, et trop d’indifférence pour tout le reste. Les Espagnols d’aujourd’hui ne sont plus les Espagnols de Charles-Quint, et peuvent l’être dans quelques années. Les Anglais ne ressemblent pas plus aux fanatiques de Cromwell que les moines et les monsignori dont Rome est peuplée ne ressemblent aux Scipions. Je ne sais si les Suédois pourraient avoir tout d’un coup des troupes aussi formidables que celles de Charles XII. On dit d’un homme : Il était brave un tel jour ; il faudrait dire, en parlant d’une nation : Elle paraissait telle sous un tel gouvernement, et en telle année. »

Si quelque prince et quelque ministre trouvaient dans cet ouvrage des vérités désagréables, qu’ils se souviennent qu’étant hommes publics ils doivent compte au public de leurs actions ; que c’est à ce prix qu’ils achètent leur grandeur ; que l’histoire est un témoin et non un flatteur ; et que le seul moyen d’obliger les hommes à dire du bien de nous, c’est d’en faire.


  1. Dans la première édition, qui est de 1731, on lisait : « Cessent déjà de l’être aujourd’hui en 1731. » (B.)