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DISCOURS
SUR L’HISTOIRE DE CHARLES XII.[1]

Il y a bien peu de souverains dont on dût écrire une histoire particulière. En vain la malignité ou la flatterie s’est exercée sur presque tous les princes : il n’y en a qu’un très-petit nombre dont la mémoire se conserve ; et ce nombre serait encore plus petit si l’on ne se souvenait que de ceux qui ont été justes.

Les princes qui ont le plus de droit à l’immortalité sont ceux qui ont fait quelque bien aux hommes. Ainsi, tant que la France subsistera, on s’y souviendra de la tendresse que Louis XII avait pour son peuple ; on excusera les grandes fautes de François Ier en faveur des arts et des sciences dont il a été le père ; on bénira la mémoire de Henri IV, qui conquit son héritage à force de vaincre et de pardonner ; on louera la magnificence de Louis XIV, qui a protégé les arts que François Ier avait fait naître.

Par une raison contraire, on garde le souvenir des mauvais princes, comme on se souvient des inondations, des incendies et des pestes.

Entre les tyrans et les bons rois sont les conquérants, mais plus approchants des premiers : ceux-ci ont une réputation éclatante, on est avide de connaître les moindres particularités de leur vie. Telle est la misérable faiblesse des hommes, qu’ils regardent avec admiration ceux qui ont fait du mal d’une manière brillante, et qu’ils parleront souvent plus volontiers du destructeur d’un empire que de celui qui l’a fondé.

Pour tous les autres princes, qui n’ont été illustres ni en paix ni en guerre, et qui n’ont été connus ni par de grands vices, ni

  1. Dans la première édition, 1731, deux volumes in-12, ce morceau était à la fin du tome second. C’est dans la deuxième édition qu’il fut mis en tête de l’ouvrage, sous le titre de Discours, que Voltaire lui a toujours conservé. Dans l’édition de 1748, ce Discours ayant été placé par l’auteur après la préface qui précède, j’ai suivi cette disposition. (B.)