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DE L'ABOLISSEMENT DES JÉSUITES.

ne faire avec eux qu’un corps, dont il était le principal membre. Tous s’appelaient alors classes du parlement : celui de Paris était la première classe ; chaque classe faisait des remontrances sur les édits, et ne les enregistrait pas. Il y eut même quelques-uns de ces corps qui poursuivirent juridiquement les commandants de province envoyés à eux de la part du roi pour faire enregistrer. Quelques classes décernèrent des prises de corps contre ces officiers. Si ces décrets avaient été mis à exécution, il en aurait résulté un effet bien étrange. C’est sur les domaines royaux que se prennent les deniers dont on paye les frais de justice, de sorte que le roi aurait payé de ses propres domaines les arrêts rendus par ceux qui lui désobéissaient contre ses officiers principaux qui avaient exécuté ses ordres.

Cette étonnante anarchie ne pouvait pas subsister : il fallait ou que la couronne reprît son autorité, ou que les parlements prévalussent.

On avait besoin, dans des conjonctures si critiques, d’un chancelier entreprenant et audacieux ; on le trouva[1]. Il fallait changer toute l’administration de la justice dans le royaume, et elle fut changée.

Le roi commença par essayer de ramener le parlement de Paris ; il le fit venir à un lit de justice (le 7 septembre 1770) qu’il tint à Versailles avec les princes, les pairs, et les grands officiers de la couronne. Là il lui défendit de se servir jamais des termes d’unité, d’indivisibilité, et de classes ;

D’envoyer aux autres parlements d’autres mémoires que ceux qui sont spécifiés par les ordonnances ;

De cesser le service, sinon dans les cas que ces mêmes ordonnances ont prévus ;

De donner leur démission en corps ;

De rendre jamais d’arrêt qui retarde les enregistrements : le tout sous peine d’être cassé.

Le parlement, sur cet édit solennel, ayant encore cessé le service, le roi leur fit porter des lettres de jussion : ils désobéirent. Nouvelles lettres de jussion, nouvelle désobéissance. Enfin le monarque, poussé à bout, leur envoya pour dernière tentative, le 20 janvier (1771), à quatre heures du matin, des mousquetaires

  1. C’était René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou, né en 1714, mort en 1792, et qu’un peu plus loin Voltaire appelle Maupeou, second du nom. Son père, René-Charles de Maupeou, vice-chancelier et garde des sceaux en 1763, avait été chancelier un jour : nommé le 15 septembre 1768, il donna le lendemain sa démission en faveur de son fils. (B.)