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CHAPITRE LXVIII.


France[1], l’un de ceux qui ont le mieux servi l’État, et dont le génie supérieur devait être plutôt ménagé qu’offensé. La conduite du général était d’autant plus maladroite qu’il savait que le crédit de son ordre ne tenait presque plus à rien : et il y parut bien dans la suite.

Il y avait, depuis 1747, à la Martinique un jésuite nommé La Valette, supérieur des missions, et dont l’emploi devait être de convertir des nègres : il aima mieux les faire travailler à ses intérêts que prendre soin de leur salut. C’était un génie vaste et entreprenant pour le commerce. Il s’associa avec un Juif nommé Isaac, établi à l’île de la Dominique, et eut des correspondances dans toutes les principales villes de l’Europe. Le plus grand de ses correspondants était le jésuite Sacy, procureur général des missions, demeurant dans la maison professe de Paris. Le monopole énorme que faisait La Valette le fit rappeler par le ministère, sur les plaintes des habitants des îles, en 1753 ; mais les jésuites obtinrent qu’il fût renvoyé dans son poste. Il n’en coûta à La Valette qu’une promesse par écrit de ne se mêler plus que de gagner des âmes, et de ne plus équiper de vaisseaux. Ses supérieurs le nommèrent alors visiteur général et préfet apostolique ; et avec ces titres il alla continuer son commerce. Les Anglais le dérangèrent ; ils prirent ses vaisseaux. La Valette et Sacy firent une banqueroute plus considérable que la somme qu’ils avaient perdue : car les effets dont les Anglais s’étaient emparés ne furent pas vendus douze cent mille francs de notre monnaie, et la banqueroute des jésuites fut d’environ trois millions.

Deux gros négociants de Marseille, Gouffre et Lioney, y perdirent tout d’un coup quinze cent mille livres. Sacy, procureur des missions à Paris, eut ordre de son général d’offrir cinq cent mille francs pour les apaiser : il offrit cet argent, et ne le donna

    on se souvenait de leurs persécutions, et eux-mêmes avouèrent que le public les lapidait avec les pierres de Port-Royal, qu’ils avaient détruit sous Louis XIV.

    « Pendant qu’on avait plaidé cette cause, etc. »

    Ce morceau fut supprimé dès la seconde édition. Le bon citoyen que j’ai longtemps fréquenté, dont il y est question, était Voltaire lui-même. La famille qu’il obligea est la famille Desprez de Crassy. Il est, au reste, parlé de cette affaire dans le Commentaire historique (voyez les Mélanges, année 1776). Le bon de l’affaire, y dit Voltaire, c’est que peu de temps après, lorsqu’on délivra la France des révérends pères jésuites, ces mêmes gentilshommes, dont les bons pères avaient voulu ravir le bien, achetèrent celui des jésuites, qui était contigu.

    Ce fut dès la seconde édition, en 1769, qu’à la première version du commencement de ce chapitre Voltaire substitua la version actuelle. (B.)

  1. Le duc de Choiseul Stainville.