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ATTENTAT DE DAMIENS.


à son ennemi déclaré qu’une trahison ou une faiblesse à un homme de son parti. Elle proposa au comte d’Argenson de se réconcilier avec lui, et de lui sacrifier le garde des sceaux. Il refusa : alors la perte de tous deux fut résolue, et ils reçurent leurs lettres de cachet le même jour 1er février[1]. Tel a été souvent le sort des ministres en France : ils exilent, et on les exile ; ils emprisonnent, et ils sont emprisonnés. Toutes ces choses, qui sont de la plus grande vérité, se trouvent éparses dans les journaux étrangers ; on les a rassemblées ici sans aucune envie de flatter ni de nuire, et seulement pour l’instruction de ceux qui trouvent leur consolation dans l’histoire.

Dans le procès de Damiens que la grand’chambre instruisit, le criminel soutint toujours que la religion l’avait déterminé à frapper le roi, mais qu’il n’avait jamais eu l’intention de le tuer ; il déclara, sans varier, que son projet avait été conçu depuis l’exil de tout le parlement.

Interrogé sur les discours qu’on tenait chez le docteur de Sorbonne nommé Corgne de Launai, dont il avait été quelque temps laquais, il répondit « qu’on y disait que les gens du parlement étaient les plus grands coquins et les plus grands marauds de la terre ». Toutes ses réponses étaient d’un homme insensé, ainsi que son action.

Interrogé pourquoi il avait fait écrire par l’exempt Belot les noms de quelques membres du parlement, et pourquoi il avait ajouté : presque tous, il répondit : « Parce que tous sont furieux de la conduite de l’archevêque. »

Vareille, enseigne des gardes du corps, lui ayant été confronté, et lui ayant soutenu qu’il avait dit que « si on avait tranché la tête à quatre ou cinq évêques, il n’aurait pas assassiné le roi pour la religion », Damiens répondit « qu’il n’avait pas parlé de leur trancher la tête, mais de les punir, sans dire de quel supplice ». Il persista toujours à soutenir que « sans l’archevêque cela ne serait pas arrivé, et qu’il n’avait frappé le roi que parce qu’on refusait les sacrements à d’honnêtes gens ». Il ajouta « qu’il n’allait plus à confesse depuis que l’archevêque avait donné de si bons exemples ».

Ce fut surtout dans son interrogatoire du 26 mars qu’il déclara « que s’il n’était pas venu souvent dans la salle du palais, il n’aurait pas commis son crime, et que les discours qu’il y avait entendus l’y avaient déterminé ».

  1. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre XCVIII, tome XII, page 140.