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CHAPITRE XXXVI.


Le bonhomme Tolet ne savait ce qu’il disait, il prenait André pour Philippe ; lequel Philippe ayant rencontré l’eunuque de Candace, reine d’Éthiopie, lisant dans son chariot un chapitre d’Isaïe, apparemment traduit en éthiopien, et n’y entendant rien du tout, Philippe, qui sans doute était savant, lui expliqua le passage, le convertit, le baptisa ; après quoi il fut enlevé par l’esprit[1].

Mais quel rapport de cet eunuque à Henri IV, et de Philippe au pape Clément VIII ? et pourquoi Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, ne pouvait-il pas ressembler au Juif Philippe aussi bien que Clément ? C’était se jouer étrangement de la religion que de vouloir soutenir par de telles allégories la conduite de l’évêque souverain de Rome, qui exposait la France à retomber dans les horreurs des guerres civiles. Le duc de Nevers sortit de Rome en colère, et tandis que du Perron et d’Ossal allaient renouveler cette singulière négociation, le même esprit qui avait dicté les refus de Clément VIII aiguisait les poignards levés sur Henri IV.

Un jeune insensé, nommé Jean Châtel, fils d’un gros marchand de drap de Paris, et assez bien apparenté dans la ville, où la famille de sa femme est encore assez nombreuse, ayant étudié aux jésuites, avait été admis dans une de leurs congrégations, et à certains exercices spirituels qu’on faisait dans une chambre appelée la chambre des méditations. Les murailles étaient couvertes de représentations affreuses de l’enfer, et de diables tourmentant des damnés. Ces images, dont l’horreur était encore augmentée par la lueur d’une torche allumée, avaient troublé son imagination, il était tombé dans des excès monstrueux, il se croyait déjà une victime de l’enfer. On prétend qu’un jésuite lui dit, dans la confession, qu’il ne pouvait échapper aux châtiments éternels qu’en délivrant la France d’un roi toujours hérétique. Ce malheureux, âgé de dix-neuf ans, se persuada que du moins s’il assassinait Henri IV il rachèterait une partie des peines que l’enfer lui préparait. « Je sais bien que je serai damné, disait-il, mais j’ai mieux aimé l’être comme quatre que comme huit. » Il y a toujours de la démence dans les grands crimes : il voulait mourir ; l’excès de sa fureur alla au point que, de son aveu même, il avait résolu de commettre en public le crime de bestialité, s’imaginant que sur-le-champ on le ferait mourir dans les supplices. Ensuite, ayant changé d’idée, et détestant toujours la vie, il reprit le dessein d’assassiner le roi.

  1. Actes des apôtres, chapitre VIII, versets 27-39.