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CHAPITRE XXXV.


ligueurs, combattaient dans Paris la conversion du roi par des processions et par des libelles ; les chaires retentissaient d’anathèmes contre ce même prince devenu catholique ; on traitait son changement de simulé, et sa personne d’apostat. Des armes plus dangereuses étaient employées contre lui, on subornait de tous côtés des assassins. On en découvrit un entre plusieurs, nommé Pierre Barrière, de la lie du peuple, bigot et intrépide, employé autrefois par le duc de Guise le Balafré pour enlever la reine Marguerite, femme de Henri IV, au château d’Usson. Il se confessa à un dominicain, à un carme, à un capucin, à Aubry, curé de Saint-André-des-Arcs, ligueur des plus fanatiques, et enfin à Varade, recteur du collége des jésuites de Paris. Il leur communiqua à tous le dessein qu’il avait de tuer le roi pour expier ses péchés ; tous l’encouragèrent et lui gardèrent le secret, excepté le dominicain. C’était un Florentin[1], attaché au parti du roi, et espion de Ferdinand, grand-duc de Toscane.

Si les autres se servaient de la confession pour inspirer le parricide, celui-ci s’en servit pour l’empêcher ; il révéla le secret de Barrière. On dit que c’est un sacrilége ; mais un sacrilége qui empêche un parricide est une action vertueuse. Le Florentin dépeignit si bien cet homme qu’il fut arrêté à Melun lorsqu’il se préparait à commettre son crime.

Dix commissaires, nommés par le roi, le condamnèrent à la roue. Il déclara, avant de mourir[2], que ceux qui lui avaient conseillé ce crime lui avaient assuré que « son âme serait portée par les anges à la béatitude éternelle, s’il venait à bout de son entreprise ».

Ce fut là le premier fruit de la conversion de Henri IV. Cependant les négociations de Brissac[3], créé maréchal de France par le duc de Mayenne, et le zèle de quelques citoyens de Paris, donnèrent à Henri IV cette capitale que la victoire d’Ivry, la prise de tous les faubourgs, et l’escalade aux murs de la ville, n’avaient pu lui donner.

Le duc de Mayenne avait quitté la ville, et y avait laissé pour gouverneur le maréchal de Brissac. Ce seigneur, au milieu de tant de troubles, avait conçu d’abord le dessein de faire de la France une république ; mais un échevin nommé Langlois,

  1. Pierre de L’Estoile dit que ce Florentin s’appelait Séraphin Blanchi, et qu’il était envoyé secret du grand-duc.
  2. 28 août 1593. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez la note de la page 563.