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JOURNÉE DE LA SAINT-BARTHÉLEMY.


-même tirait d’une fenêtre de son Louvre sur ceux de ses sujets qui échappaient aux meurtriers[1]. Les détails de ces massacres, que je dois omettre ici, seront présents à tous les esprits jusqu’à la dernière postérité.

Je remarquerai seulement que le chancelier de Birague[2], qui était garde des sceaux cette année, fut, ainsi qu’Albert de Gondi, depuis maréchal de Retz, un de ceux qui préparèrent cette journée. Ils étaient tous deux Italiens. Birague avait dit souvent que, pour venir à bout des huguenots, il fallait employer des cuisiniers, et non pas des soldats. Ce n’était pas là le chancelier de L’Hospital.

La journée de la Saint-Barthélemy fut ce qu’il y a jamais eu de plus horrible. La manière juridique dont la cour voulut soutenir et justifier ces massacres fut ce qu’on a vu jamais de plus lâche. Charles IX alla lui-même au parlement le troisième jour des massacres, et pendant qu’ils duraient encore. Il présupposa que l’amiral de Coligny et tous ceux qu’on avait égorgés, et dont on continuait de poursuivre la vie, avaient fait une conspiration contre sa personne et contre la famille royale, et que cette conspiration était prête d’éclater quand on se vit obligé de l’étouffer dans le sang des complices.

Il n’était pas possible que Coligny, assassiné trois jours avant par Maurevert, presque sous les yeux du roi, et blessé très-dangereusement, eût fait dans son lit cette conspiration prétendue.

C’était le temps des vacances du parlement ; on assembla exprès une chambre extraordinaire. Cette chambre condamna, le 27 septembre 1572, l’amiral Coligny, déjà mort et mis en pièces, à être traîné sur la claie, et pendu à un gibet dans la place de Grève, d’où il serait porté aux fourches patibulaires de Montfaucon. Par cet arrêt, son château de Châtillon-sur-Loing fut rasé ; les arbres du parc coupés ; on sema du sel sur le territoire de cette seigneurie ; on croyait par là rendre ce terrain stérile, comme s’il n’y eût pas eu dans ces temps déplorables assez de friches en France. Un

  1. Le texte de Brantôme, qui rapporte cette particularité, est transcrit dans une note du chant deuxième de la Henriade. On avait, en 1793, placé devant cette fenêtre, qui est sur le quai du Louvre, à l’extrémité méridionale de la galerie d’Apollon, un poteau avec une inscription. Bonaparte, premier consul, fit disparaître, en 1802, ce poteau qui, suivant quelques personnes, aurait dû être placé ailleurs et sur la rue des Poulies. Voici l’inscription qu’on avait mise sur le poteau : C’est de cette fenêtre que l’infâme Charles IX, d’exécrable mémoire, a tiré sur le peuple avec une carabine. (B.) — Voyez tome VIII, page 82.
  2. Il est omis comme garde des sceaux dans l’Abrégé chronologique du président Hénault. (Note de Voltaire.)