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DES PAIRS.


par douze jurés : ce nombre de douze semblait être consacré chez les anciens Francs ; un duc avait sous lui douze comtes, un comte commandait à douze officiers subalternes. On sait que ces ducs, ces comtes, dans la décadence de la famille de Charlemagne, rendirent leurs gouvernements et leurs dignités héréditaires : ce qui n’était pas bien malaisé. Les grands officiers des Othon et des Frédéric en ont fait autant en Allemagne ; ils ont fait plus, ils se sont conservés dans le droit d’élire l’empereur. Ce sont de véritables pairs qui ont continué et fortifié le gouvernement féodal, aboli aujourd’hui en France, ainsi que toutes les anciennes coutumes.

Dès que tous les seigneurs des terres en France eurent assuré l’hérédité de leurs fiefs, tous ceux qui relevaient immédiatement du roi furent également pairs ; de sorte qu’un simple baron se trouva quelquefois juge du souverain d’une grande province ; (1203) et c’est ce qui arriva lorsque Jean sans Terre, roi d’Angleterre et vassal de Philippe-Auguste, fut condamné à mort par le vrai parlement de France, c’est-à-dire par les seuls pairs assemblés.

Il est bien étrange que nos historiens ne nous aient jamais dit quels étaient ces pairs qui osèrent juger à mort un roi d’Angleterre. Un événement si considérable méritait un peu plus d’attention. Nous avons été, généralement parlant, très-peu instruits de notre histoire. Je me souviens d’un magistrat qui croyait que Jean sans Terre avait été jugé par les chambres assemblées[1].

Les juges furent sans difficulté les mêmes qu’on voit, quelques mois après, tenir la même assemblée de parlement à Villeneuve-le-Roi : (2 mai 1204) Eudes, duc de Bourgogne ; Hervé, comte de Nevers ; Renaud, comte de Boulogne ; Gaucher, comte de Saint-Paul ; Gui de Dampierre, assistés d’un très-grand nombre de barons, sans qu’il y eût aucun clerc, aucun légiste, aucun homme qualifié du nom de maître. Cette assemblée, qui fut convoquée pour affermir l’établissement des droits féodaux, stabilimentum feudorum, fut sans doute la même qui avait fait servir ces lois féodales à la condamnation de Jean sans Terre, et qui voulut justifier son jugement.

Les ducs et pairs, les comtes et pairs, étaient sans doute de plus grands seigneurs que les barons pairs, parce qu’ils avaient de bien plus grands domaines ; tous les ducs et comtes étaient en effet des souverains qui relevaient du roi, mais qui étaient absolus chez eux.

  1. Voyez tome XI, page 418 et suivantes.