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Il est vrai que toutes les tentatives n’ont pas été heureuses. Des voyages au bout du monde pour constater une vérité que Newton avait démontrée dans son cabinet ont laissé des doutes sur l’exactitude des mesures. L’entreprise du fer brut forgé, ou converti en acier, celle de faire éclore des animaux à la manière de l’Égypte dans des climats trop différents de l’Égypte, beaucoup d’autres efforts pareils, ont pu faire perdre un temps précieux, et ruiner même quelques familles. Mais nous avons dû à ces mêmes entreprises des lumières utiles sur la nature du fer et sur le développement des germes contenus dans les œufs. Des systèmes trop hasardés ont défiguré des travaux qui auraient été très-utiles. On s’est fondé sur des expériences trompeuses pour faire revivre cette ancienne erreur que des animaux pouvaient naître sans germe. De là sont sorties des imaginations plus chimériques que ces animaux. Les uns ont poussé l’abus de la découverte de Newton sur l’attraction jusqu’à dire que les enfants se forment par attraction dans le ventre de leurs mères. Les autres ont inventé des molécules organiques. On s’est emporté dans ces vaines idées jusqu’à prétendre que les montagnes ont été formées par la mer : ce qui est aussi vrai que de dire que la mer a été formée par les montagnes.

Qui croirait que des géomètres[1] ont été assez extravagants pour imaginer qu’en exaltant son âme on pouvait voir l’avenir comme le présent ? Plus d’un philosophe[2], comme on l’a déjà dit ailleurs[3], a voulu, à l’exemple de Descartes, se mettre à la place

    des Euler, des d’Alembert, et des La Grange, d’immenses progrès dont Newton et Leibnitz seraient eux-mêmes étonnés. Le calcul des probabilités, qui ne servaient presque dans le siècle dernier qu’à calculer les chances des jeux de hasard, a été appliqué à dos questions utiles au bonheur des hommes.

    Les principes généraux de la législation, de l’administration des États, ont été découverts, analysés, et développés dans un grand nombre d’excellents ouvrages.

    L’art tragique enfin, perfectionné par M. de Voltaire, est devenu un art vraiment moral ; il a fait du théâtre une école d’humanité et de philosophie.

    Si nous examinons ensuite les progrès des arts, nous compterons au nombre des avantages du même siècle la perfection de l’art de construire les vaisseaux, la méthode de les doubler de cuivre ; l’art d’instruire les muets et de les rendre en quelque sorte à la société ; les secours établis pour les hommes frappés d’une mort apparente ; l’art militaire enfin, dont le génie de Frédéric a fait en quelque sorte une science nouvelle.

    Enfin nous avons vu tous les arts mécaniques, toutes les manufactures, toutes les branches de l’agriculture, se perfectionner, s’enrichir de méthodes nouvelles, se diriger par des principes plus sûrs et plus simples, fruits d’une application heureuse des sciences à tous les objets de l’industrie humaine. (K.)

  1. Maupertuis.
  2. Ceci à l’adresse de d’Holbach. (G. A.)
  3. Dans la Dissertation sur les changements arrivés dans notre globe, et dans la Dissertation du physicien de Saint-Flour, qui fait partie des Colimaçons.