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sans être ensemble d’intelligence, et par conséquent exempts de l’esprit de parti.

Mais ce qui est encore plus honorable pour la patrice, c’est que, dans ce recueil immense, le bon l’emporte sur le mauvais : ce qui n’était pas encore arrivé. Les persécutions qu’il a essuyées ne sont pas si honorables pour la France. Ce même malheureux esprit de formes, mêlé d’orgueil, d’envie et d’ignorance, qui fit proscrire l’imprimerie du temps de Louis XI, les spectacles sous le grand Henri IV, les commencements de la saine philosophie sous Louis XIII, enfin l’émétique et l’inoculation ; ce même esprit, dis-je, ennemi de tout ce qui instruit et de tout ce qui s’élève, porta des coups presque mortels à cette mémorable entreprise ; il est parvenu même à la rendre moins bonne qu’elle n’aurait été, en lui mettant des entraves, dont il ne faut jamais enchaîner la raison : car on ne doit réprimer que la témérité, et non la sage hardiesse, sans laquelle l’esprit humain ne peut faire aucun progrès. Il est certain que la connaissance de la nature, l’esprit de doute sur les fables anciennes honorées du nom d’histoires, la saine métaphysique dégagée des impertinences de l’école, sont les fruits de ce siècle, et que la raison s’est perfectionnée[1].

  1. Qu’il nous soit permis d’ajouter ici quelques traits au tableau tracé par M. de Voltaire. C’est dans ce siècle que l’aberration des étoiles fixes a été découverte par Bradley ; que les géomètres sont parvenus à calculer les perturbations des comètes, et à prédire le retour de ces astres ; que les mouvements des planètes ont été soumis à des calculs sinon rigoureux, du moins certains, et d’une exactitude égale à celle qu’on peut attendre des observations. Les principes généraux du mouvement des corps solides et des fluides ont été découverts par M. d’Alembert. Le problème de la précession des équinoxes, dont Newton n’avait pu donner qu’une solution incomplète, a été résolu par le même géomètre, et on lui doit encore la découverte d’un nouveau calcul nécessaire dans la théorie du mouvement des fluides et des corps flexibles. Les lois de la gradation de la lumière, trouvées par Bouguer ; la découverte des lunettes acromatiques, dont la première idée est due à M. Euler ; la méthode d’appliquer le prisme aux lunettes, de décomposer par ce moyen la lumière des étoiles, de mesurer avec plus d’exactitude les lois de la réfraction et de la diffraction, que l’on doit à M. l’abbé Rochon, avec de nouvelles méthodes de mesurer les angles et les distances, et des observations importantes sur la théorie de la vision : tous ces travaux sont autant de monuments du génie des savants qui ont illustré ce siècle.

    Quels progrès n’avons-nous point faits dans la chimie, devenue une des branches les plus utiles et les plus étendues de nos connaissances ! Nous avons su découvrir, analyser, soumettre aux expériences, ces fluides élastiques connus sous le nom d’airs, et dont le siècle dernier soupçonnait à peine l’existence ; les phénomènes électriques ont encore été une source féconde de découvertes ; la nature de la foudre a été connue grâce à M. Franklin, et il nous a instruits à nous préserver de ses ravages. L’histoire naturelle est devenue une science nouvelle par les travaux des Linnée, des Rouelle, des Daubenton, et de leurs disciples, tandis que l’éloquent historien de la nature en répandait le goût parmi les hommes de tous les états et de tous les pays. Les mathématiques ont fait par le génie des Bernouilli,