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[1] Le premier président de Lamoignon disait contre cette loi que « l’avocat ou conseil qu’on avait accoutumé de donner aux accusés n’est point un privilège accordé par les ordonnances ni par les lois ; c’est une liberté acquise par le droit naturel, qui est plus ancien que toutes les lois humaines. La nature enseigne à tout homme qu’il doit avoir recours aux lumières des autres quand il n’en a pas assez pour se conduire, et emprunter du secours quand il ne se sent pas assez fort pour se défendre. Nos ordonnances ont retranché aux accusés tant d’avantages qu’il est bien juste de leur conserver ce qui leur reste, et principalement l’avocat qui en fait la partie la plus essentielle. Que si l’on veut comparer notre procédure à celle des Romains et des autres nations, on trouvera qu’il n’y en a point de si rigoureuse que celle qu’on observe en France, particulièrement depuis l’ordonnance de 1539[2]. »

Cette procédure est bien plus rigoureuse depuis l’ordonnance de 1670. Elle eût été plus douce si le plus grand nombre des commissaires eût pensé comme M. de Lamoignon.

Plus on fut autrefois ignorant et absurde, plus on devint intolérant et barbare. L’absurdité a fait condamner aux flammes la maréchale d’Ancre ; elle a dicté cent arrêts pareils. C’est l’absurdité qui a été la première cause de la Saint-Barthélemy. Quand la raison est pervertie, l’homme devient nécessairement brute, la société n’est plus qu’un mélange de bêtes qui se dévorent tour à tour, et de singes qui jugent des loups et des renards. Voulez-vous changer ces bêtes en hommes, commencez par souffrir qu’ils soient raisonnables.

L’anarchie féodale ne subsiste plus, et plusieurs de ses lois subsistent encore : ce qui met dans la législation française une confusion intolérable.

[3] Jugera-t-on toujours différemment la même cause en province et dans la capitale ? Faut-il que le même homme ait raison en Bretagne et tort en Languedoc ? Que dis-je ? il y a autant de jurisprudences que de villes. Et dans le même parlement, la maxime d’une chambre n’est pas celle de la chambre voisine[4].

On s’attache aux lois romaines dans les pays de droit écrit, et

  1. Cet alinéa et le suivant sont extraits du paragraphe xxii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines. (B.)
  2. Procès-verbal de l’ordonnance, page 163. (Note de Voltaire.)
  3. Cet alinéa est extrait du paragraphe xxiii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines. (B.)
  4. Voyez sur cela le président Bouhier. (Note de Voltaire.)