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dire des Corses ce que Louis XI dit de Gênes quand elle voulut se donner à lui : il la donna au diable.

Dès l’année 1729, la guerre était ouverte comme entre deux nations rivales et irréconciliables. Gênes implora le secours de Charles VI, en qualité de seigneur suzerain qui doit protéger ses vassaux : à cette raison elle joignit de l’argent, et l’empereur envoya des troupes. Un prince de la maison de Virtemberg, brave guerrier et homme généreux, fit mettre les armes bas aux Corses ; il ménagea un accommodement entre eux et les Génois en 1732 ; mais ce ne fut qu’une trêve bientôt rompue par l’animosité des deux partis.

Les Corses commençaient à avoir des chefs très-intelligents, tels qu’il s’en forme toujours dans les guerres civiles, un Giafferi, un Hyacinthe Paoli, un Rivalora, et surtout un chanoine nommé Orticone, qui eut quelque temps la principale influence ; mais ces chefs ne pouvaient encore changer en un gouvernement régulier l’anarchie tumultueuse qui désolait et dépeuplait cette île.

Les Corses, chez qui l’assassinat était alors plus commun qu’il ne l’avait été au XVe siècle dans le continent de l’Italie, étaient aussi dévots que les autres Italiens, et plusieurs prêtres parmi eux assassinaient en disant leur chapelet. Les chefs convoquèrent, en 1735, une assemblée générale, dans laquelle on donna la Corse à la vierge Marie[1], qui ne parut pas accepter cette couronne. On brûla les lois génoises, et on décerna peine de mort contre quiconque proposerait de traiter avec Gênes. Hyacinthe Paoli et Giafferi furent déclarés généraux.

À peine les Corses se furent-ils mis en république sous les ordres de la Vierge, qu’un aventurier de la basse Allemagne vint se faire roi de Corse sans la consulter : c’était un pauvre baron de Vestphalie, nommé Théodore de Neuhoff, frère d’une dame établie en France à la cour de la duchesse d’Orléans. Cet homme, ayant voyagé en Espagne et ayant eu quelque intelligence avec un envoyé de Tunis, passa lui-même en Afrique, persuada le bey qu’il pourrait lui soumettre la Corse si le bey voulait lui donner seulement un vaisseau de dix canons, quatre mille fusils, mille sequins, et quelques provisions. La régence de Tunis fut assez simple pour les donner. Il arriva à Livourne sur un bâtiment qui

  1. Voici le premier article du règlement du 30 janvier 1735 :

    « Le royaume se met sous la protection de l’immaculée conception de la bienheureuse vierge Marie, dont on peindra l’image sur les armes et les drapeaux, et dont on célébrera la fête par quelques décharges de mousqueterie et d’artillerie, conformément au règlement que la junte dressera à cet effet. » (G. A.)