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ministre du roi de Naples, le marquis Tannucci, l’homme le mieux instruit de cette jurisprudence épineuse, ne crut pas que le temps fût encore venu de secouer un joug honteux aux têtes couronnées, mais imposé par la religion.

Si on ne dépouillait pas encore les papes de tous les droits qu’ils avaient usurpés, du moins on sapait par les fondements l’édifice sur lequel la plupart de ces droits sont appuyés ; on proscrivait partout la fameuse bulle In cœna Domini, qu’on a fulminée tous les ans à Rome sans discontinuation depuis Paul III. Un cardinal-diacre la lit à la porte de Saint-Pierre, le jour qu’on appelle du jeudi-saint, et le pape jette un flambeau allumé dans la place publique pour marquer au peuple chrétien que Dieu brûlera ainsi dans l’enfer quiconque violera les lois portées par la bulle In cœna Domini[1].

C’est dans celle bulle, no 14, qu’on excommunie d’une excommunication majeure :

« Les chanceliers, conseillers ordinaires ou extraordinaires de quelques rois et princes que ce puisse être, les présidents des chancelleries, conseils, parlements, comme aussi les procureurs généraux qui évoquent à eux les causes ecclésiastiques, ou qui empêchent l’exécution des lettres apostoliques, même quand ce serait sous le prétexte d’empêcher quelque violence. »

Par le même article le pape se réserve à lui seul « d’absoudre lesdits chanceliers, conseillers, procureurs généraux, et autres excommuniés, lesquels ne pourront être absous qu’après qu’ils auront publiquement révoqué leurs arrêts, et les auront arrachés des registres ».

Celle bulle avait été déjà fulminée par le violent Jules II, mais on n’avait point encore fait une loi de la publier tous les ans. Ce fut Paul III qui institua cet usage, et qui la fit imprimer dans le Bullaire avec des additions aggravantes. Il est étrange que Charles-Quint, qui avait saccagé Rome et tenu un pape en prison, laissât subsister une cérémonie absurde et méprisée à la vérité, mais injurieuse à la majesté de l’empire et à tous les rois.

L’insulte faite à l’infant duc de Parme réveilla l’Europe catholique après plus de deux cents ans d’assoupissement. Le ministère autrichien, à l’exemple du parlement de Paris, flétrit et supprima la bulle dans tous ses États. Le ministère de Naples en fit autant. Tous les conseils des princes ouvrirent les yeux ; enfin, après avoir chassé les jésuites de tant d’États, on vit partout de quelle

  1. Voyez, sur cette bulle, l’article Bulle dans le Dictionnaire philosophique.