Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Louis XIV était rentré deux fois dans ce domaine, l’une du temps du pape Alexandre VII, l’autre pour mortifier Innocent XI, qui s’était déclaré son ennemi ; et ayant saisi ces terres comme domaines de la couronne, il les avait rendues deux fois sans faire aucune déclaration qui pût préjudicier au droit qu’il avait de les reprendre.

Il faut savoir que lorsque les rois de France reprennent le comtat, c’est en vertu d’un arrêt du parlement de Provence. Le ministère de France jugea qu’il fallait faire valoir le dernier arrêt de ce parlement, qui réunit, en 1688, Avignon et le comtat à la couronne. Cet arrêt n’avait point été spécialement révoqué ; ainsi il fut mis en exécution comme subsistant dans toute sa force.

Le comte de Rochechouart se présenta de la part du roi, le 11 juin 1768, devant Avignon, suivi de quelques troupes ; il alla droit au vice-légat, qui gouvernait au nom du pape, et lui dit, selon l’ancien protocole usité sous Louis XIV : « Monsieur, le roi m’ordonne de remettre Avignon en sa main, et vous êtes prié de vous retirer. »

Le premier président d’Aix, un second président, et huit conseillers, firent publier l’arrêt de réunion. Dans le même temps toutes les cloches sonnèrent, le peuple fit des feux de joie ; on commença dès ce jour à insérer dans tous les actes publics : « Régnant souverain prince Louis par la grâce de Dieu, XV du nom, roi de France et de Navarre, comte de Provence, de la ville d’Avignon, et du comtat Venaissin. »

Le roi de Naples, de son côté, vengeait sa maison et tous les souverains catholiques en s’emparant de la ville de Bénévent et de celle de Ponte-Corvo, et en déclarant que « ces deux villes et leur territoire dépendent de la couronne de Naples, et qu’ils y seront réunis à perpétuité ».

On commença aussi de se saisir de Castro et de Ronciglione ; mais on se contenta de menacer, et dans le temps même que la cour de Naples prenait Bénévent, qui appartient aux papes depuis environ sept cent trente années, elle lui payait le tribut de vassal, qui consiste en sept mille écus pendus au cou d’une haquenée. On n’osa pas s’affranchir de cette servitude ; les hommes font rarement tout ce qu’ils peuvent : elle était encore moins ancienne de dix années que les droits du pape sur Bénévent. Cet hommage, qui n’était d’ailleurs, et qui ne pouvait être qu’une simple cérémonie de piété, n’est point une véritable mouvance féodale. Il fut établi par le préjugé, et il peut aisément être aboli par la raison. Le