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Un tel bref paraissait du XIIe siècle plutôt que de celui où nous vivons. Le pape, et les cardinaux qui l’entraînèrent dans ce piége, ne savaient pas combien les esprits s’étaient éclairés dans l’Europe. Le malheurs de la cour de Rome était de juger du présent par le passé. Il y a des temps où un prêtre peut détrôner un souverain avec des préjugés ; il y en a d’autres où il faut déguiser la faiblesse par la condescendance. Jamais pontife ne fit une plus lourde faute. Il insultait, dans la personne du duc de Parme, le roi d’Espagne don Carlos son oncle, Louis XV son grand-père, chef de la maison de Bourbon, et le roi des Deux-Siciles, son cousin germain.

Les papes n’avaient excommunié aucun souverain depuis l’an 1630, et c’était justement un duc de Parme, ancêtre matériel du duc régnant. Il ne s’était agi que d’argent dans cette affaire. Le pape avait pris les duchés de Castro et de Ronciglione, appartenants à Odoard Farnèse, duc de Parme.

En 1588, un ancêtre plus important de ce prince, le grand Henri IV, roi de France, avait été excommunié par Sixte-Quint. Ce pâtre de la Marche d’Ancône, devenu pape, avait osé l’appeler génération bâtarde et détestable de la maison de Bourbon.

Telle fut longtemps la démence superstitieuse et hardie de la cour de Rome qu’un prêtre de ce pays déclara, de la part de Dieu, le descendant de tant de rois incapable d’hériter, non-seulement du royaume de saint Louis, mais même d’un seul arpent de terre.

Cet excès d’insolence absurde n’avait point été puni comme il devait l’être. Les querelles de religion et la politique ambitieuse de Philippe II soutenaient alors l’audace du Vatican ; mais il vient un temps où l’on réprime enfin ce qu’on a été forcé de tolérer, et où le faible est châtié des anciennes entreprises du fort qui n’existe plus.

Clément XIII fut bientôt puni de son peu de connaissance des affaires du monde. Le parlement de Paris commença par condamner son bref d’excommunication ; mais le conseil du roi employa des armes plus réelles : l’ordre fut donné de se saisir d’Avignon et de tout le comtat Venaissin. Les concessions faites autrefois par les rois de France, de ce comtat au siége de Rome, sont enveloppées de ce nuage d’incertitudes qui couvre une grande partie de l’histoire. D’ailleurs l’aliénation d’un domaine de la couronne a toujours été réputée contraire aux lois du royaume par tous les parlements, et particulièrement par celui de Provence, dans le ressort duquel sont Avignon et le comtat.