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le roi, mais qu’il avait formé le dessein de le blesser depuis l’exil du parlement. (Interrogatoire au parlement, pages 132 et 135.)

D’abord, dans son premier interrogatoire, il dit que « la religion seule l’a déterminé à cet attentat ». (Page 131.)

Il avoue qu’il n’a « dit du mal que des molinistes et de ceux qui refusent les sacrements, que ces gens-là croient apparemment deux dieux ». (Page 145.)

Il s’écria, à la question, « qu’il avait cru faire une œuvre méritoire pour le ciel ; c’est ce que j’entendais dire à tous ces prêtres dans le palais ». Il persista constamment à dire que c’était l’archevêque de Paris, les refus de sacrements, les disgrâces du parlement, qui l’avaient porté à ce parricide ; il le déclara encore à ses confesseurs. Ce malheureux n’était donc qu’un insensé fanatique, moins abominable à la vérité que Ravaillac et Jean Châtel, mais plus fou, et n’ayant pas plus de complices que ces deux énergumènes. Les seuls complices, pour l’ordinaire, de ces monstres sont des fanatiques dont les cervelles échauffées allument, sans le savoir, un feu qui va embraser des esprits faibles, insensés, et atroces. Quelques mots dits au hasard suffisent à cet embrasement. Damiens agit dans la même illusion que Ravaillac, et mourut dans les mêmes supplices[1] (28 mars).

Quel est donc l’effet du fanatisme, et le destin des rois ! Henri III et Henri IV sont assassinés parce qu’ils ont soutenu leurs droits contre les prêtres. Louis XV est assassiné parce qu’on lui reproche de n’avoir pas assez sévi contre un prêtre. Voilà trois rois sur lesquels se sont portées des mains parricides, dans un pays renommé pour aimer ses souverains.

Le père, la femme, la fille de Damiens, quoique innocents, furent bannis du royaume, avec défense d’y revenir sous peine d’être pendus. Tous ses parents furent obligés, par le même arrêt, de quitter leur nom de Damiens, devenu exécrable[2].

Cet événement fit rentrer en eux-mêmes pour quelque temps ceux qui, par leurs malheureuses querelles ecclésiastiques, avaient été la cause d’un si grand crime. On voyait trop évidemment ce que produisent l’esprit dogmatique et les fureurs de religion. Personne n’avait imaginé qu’une bulle et des billets de confession

  1. Voyez les atroces détails du supplice dans le Dictionnaire philosophique, à l’article Curiosité.
  2. La ville d’Amiens présenta une requête au roi dans laquelle elle demandait à changer de nom et à s’appeler Louisville. Gresset composa à ce sujet une pièce de vers qui n’est pas dans ses Œuvres. (B.)